Interview de David Hermet (NPA, l’un des trois porte-paroles d’AGM!) sur les résultats et la campagne des Régionales.

Interview à paraître aussi dans le prochain
Motivées
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Notre liste A GAUCHE MAINTENANT! a affirmé que Frêche n’était plus de gauche. Pourtant beaucoup d’électeurs de gauche ont voté Frêche, sans craindre de se mélanger aux votes de droite et d’extrême droite. Comment l’expliquer?

Dans un contexte de vote sanction contre la droite qui a profité nationalement au PS, l’électorat de gauche a été ici confronté à une question qui n’était jusque-là débattue que par les seuls milieux politisés : Frêche est-il encore à gauche ?

À l’inverse de celles et ceux qui se sont intéressés de près à sa politique et à ses déclarations, une partie significative de l’électorat de gauche a surtout le souvenir de Frêche vainqueur de Blanc, l’allié du FN. Il n’a pas compris les critiques contre Frêche.

En effet, les clarifications sont venues tard au PCF comme au PS. C’est par étapes successives que l’on a vu les forces politiques de gauche adopter une position sur le cas Frêche, avec, par ordre chronologique, la LCR, les Verts, le PG, le PCF et enfin la direction nationale du PS. Aubry vient juste de déclarer que Frêche n’était plus de gauche, ce que la LCR avait déclaré, il y a plusieurs années.
Frèche a aussi bénéficié du soutien de l’appareil et des élus PS de la région ainsi que de quelques élus « communistes » largement médiatisés.

Martine Aubry a décidé de présenter une liste au dernier moment, quelques temps après avoir déclaré qu’elle voterait Frêche si elle habitait en Languedoc-Roussillon. Cela a rajouté à la confusion. La provocation de Frêche sur Fabius était vieille de deux mois et cela a donné l’impression qu’il s’agissait là d’un prétexte.

Frêche n’a pas eu besoin de faire campagne, les médias s’en chargeant pour lui. Il s’est présenté comme victime des « bobos » et des « Parisiens ». Il a ainsi pu garder, voire regagner, la sympathie d’une partie de l’électorat de gauche, ce dont EE et AGM! ont pâti.

À cela il faut ajouter, dans une région au taux de chômage record, le poids de l’électorat de gauche captif/client des notables frêchistes qui contrôlent la plupart des institutions.
Notons enfin que la politique menée concrètement par la région est mal connue et que, hélas, une partie de l’électorat de gauche ne s’indigne pas forcément des propos à connotation raciste.

Si on regarde les résultats, on peut noter la chose suivante.
Frêche fait 34,28% tandis que les listes de gauche totalisent 26,08%. (EE 9,12 + AGM 8,59 + PS 7,74 + LO 0,63).
En 2004, la liste Frêche (PS-PCF-Verts) avait fait 36,32 % et la liste LCR-LO 4,7%.
De 2004 à 2010, le FN est passé de 17.17 à 12,67 %, l’UMP de 24,63 % à 19,63 %, le Modem de 5,7% à rien (non-présent), soit moins 15,2% pour la droite et l’extrême droite.

La majorité de l’électorat de gauche n’a donc pas voté Frêche au premier tour. Celui-ci a maintenu son score grâce à l’électorat de droite et d’extrême droite, ce que confirment les résultats dans les communes de droite.

Rien d’étonnant, les provocations de Frêche avaient évidemment ce but et sa politique est largement approuvée par le patronat local.
Cela a évidemment des conséquences. La dérive de Frêche vers la droite n’est pas une parenthèse qui va se refermer. Du coup, la fracture ouverte entre l’immense majorité du PCF et certains de ses élus, celle au sein du PS, devraient s’amplifier, à moins que des intérêts électoraux à courte vue ne l’emportent.

8,60% pour la liste Revol alors qu’elle visait à être à 10 % ou au-dessus, quelles sont, à ton avis, les causes de ce score en demi-teinte, largement inférieur (quelque 5 points) aux résultats cumulés du FdG et du NPA aux dernières Européennes?

Il y a ce que l’on savait déjà : l’unité n’est pas la recette miracle et n’entraîne pas automatiquement une dynamique électorale. Avec une participation en hausse, la liste AGM! fait beaucoup moins de voix (76 414) que le total FDG (67990) + NPA (43 006) aux Européennes.

Le bon score du FDG en 2009 (plus de 9% en LR) avait été dopé par une tête de liste connue et hyper-médiatisée. Malgré une intense campagne de terrain, notre liste AGM! a été occultée dans les principaux médias par les querelles entre Frêche et Aubry ou encore entre Roumégas et Mandroux.
Une partie de l’électorat d’origine socialiste du FDG en 2009 a pu aussi se reporter vers les listes Mandroux, voire Frêche.
L’électorat traditionnel du PCF a été troublé et divisé par les prises de positions pro-Frêche ou le silence assourdissant de quelques-uns de ses élus.
Le très faible score de LO (0,63) montre que l’électorat de la gauche radicale s’est très largement retrouvé dans la campagne et le programme d’AGM!
Cependant, à l’échelle nationale, le contenu de la campagne du NPA a été occulté par l’affaire du Vaucluse, présentée de manière caricaturale et souvent odieuse. La présentation (choix du seul NPA du Vaucluse) d’une candidate portant un symbole d’oppression des femmes, tout en se déclarant féministe, a aussi gêné une partie de nos militants, sympathisants et donc de notre électorat. Les études d’opinion montrent ainsi une forte masculinisation de nos électeurs entre les scrutins de 2009 et 2010. Il est cependant difficile de dire comment cela a pu jouer aussi dans le cadre d’une liste unitaire conduite ici par un représentant du Parti de Gauche.

Surtout, les élections ne sont pas les mêmes. On le voit à l’échelle nationale : le PS retrouve un score élevé aux Régionales. Le poids des élus sortants, des notables, est plus élevé dans ce type d’élection qu’aux Européennes. En 2009, on sortait aussi d’une période de forte contestation sociale.

Notre liste avait annoncé qu’elle ne fusionnerait pas avec Frêche au second tour. Cette position était courageuse et, bien entendu, la seule qui soit juste sur le fond, d’ailleurs elle fut aussi celle de EE et du PS-Mandroux.

Elle était cependant difficile car vécue comme en opposition à une majorité « de gauche » sortante tandis qu’ailleurs le FDG se présentait comme une composante de la majorité. Elle a aussi contribué à la « victimisation » de Frêche, évoquée ci-dessus.

De plus, la stratégie initiale d’AGM! reposait sur un score à plus de 10% tout à fait accessible s’il n’y avait eu que deux listes à gauche de Frêche (EE et nous). Il y a eu une troisième liste et des sondages qui tendaient à montrer que le vote « utile » pour avoir une liste de gauche à plus de 10% était soit EE soit Mandroux, ce qui a rendu la partie plus difficile, d’autant plus que la fusion à 3 pouvait apparaître comme moins cohérente que la seule fusion EE-AGM!.

8,6 %, est dans ce contexte un assez bon score, surtout si on le compare aux faibles scores d’EE et du PS.
Il n’est un échec que parce EE ou AGM! échouent, de peu, à passer la barre des 10%. La liste PS, sans vrai programme et sur le seul slogan des « valeurs » de la gauche, s’est avérée être une liste de témoignage qui a empêché la gauche d’être présente au second tour.

L’abstention massive ne devrait-elle pas interroger la gauche incarnée par AGM! sur sa propre capacité/incapacité à toucher les couches abstentionnistes?

Il est difficile d’interpréter l’abstention. Il y a une abstention de droite, celle des déçus de Sarkozy, une abstention qui correspond à une dépolitisation profonde ou à un désintérêt pour toutes les élections autres que la présidentielle. L’abstention qui doit nous intéresser est celle des jeunes et des catégories populaires qui renvoie à l’impuissance de la gauche à changer concrètement les choses.
Cela peut durer tant qu’une vraie gauche ne montrera pas sa différence avec la droite en appliquant des mesures concrètes capables de répondre à l’urgence sociale.
Une campagne électorale comme celle d’AGM! peut-elle influer sur ce phénomène ? Le NPA a tendance à faire campagne en s’adressant aux abstentionnistes de gauche : « votez comme vous luttez » « exprimez votre colère dans les urnes ». Cela ne fonctionne pas vraiment.

Que penses-tu de l’unité réalisée avec le PCF et le PG? Des convergences durables sont-elles nées? Est-ce qu’AGM! va se maintenir, d’une manière ou d’une autre, après les élections?

Les longues et difficiles discussions de l’automne ont débouché sur un accord solide. Il y a eu une très belle campagne avec près de 300 réunions publiques qui ont réuni plus de 10 000 personnes.
Au niveau des trois porte-paroles, il y a eu une très bonne entente. Ce fut souvent le cas aussi à la base. Les militant-e-s qui se retrouvent ensemble dans les luttes étaient heureux de mener une campagne électorale unitaire. On a appris à se connaître. Beaucoup d’adhérents du PCF ont découvert que le NPA était capable de faire des propositions concrètes tandis que les militants du NPA ont vu que les responsables du PCF n’étaient pas tous des bureaucrates.

Le programme de la liste fut également confirmé et enrichi par les nombreuses visites que nous avons faites sur le terrain. C’est un des principaux acquis de la campagne. Avec souvent des exemples concrets, nous avons montré ce que pourrait être une région vraiment à gauche, par opposition à la gestion actuelle d’accompagnement du capitalisme.
Toutes les composantes souhaitent que l’alliance réalisée continue : participer ensemble aux mobilisations sociales contre le gouvernement, mener des actions en lien avec le programme défendu pendant les élections régionales, même si, sans élu, cela sera moins évident qui si nous avions eu un groupe au sein du conseil régional.
On va voir rapidement les initiatives que nous pouvons prendre.

Comment analyses-tu les résultats obtenus nationalement par le NPA ? L’avenir du NPA n’est-il pas devenu quelque peu incertain ?

Les résultats sont mauvais et l’on ne peut pas invoquer l’abstention, nous perdons beaucoup de voix par rapport à 2009 alors que la participation est en hausse.
Il y a des éléments liés à la situation : moins de contestation dans la rue et un vote PS pour sanctionner la droite. D’ailleurs, le FDG qui se présentait comme un allié de gauche du PS maintient son score des européennes.
Ceci dit, le NPA est aussi responsable de son propre échec et il va falloir en débattre sérieusement.
Le NPA s’est retrouvé à devoir assumer nationalement et sans débat préparatoire le choix d’un seul département, le Vaucluse.
Notre message est devenu inaudible dans les médias, on n’a parlé du NPA qu’à propos de ses rapports à la religion et au voile. Le pire est à mon avis la diffusion du mythe selon lequel le NPA aurait renié ses principes pour faire un coup électoral destiné à séduire la population musulmane.
Cependant, cette question ne saurait occulter le reste : pourquoi le NPA est-il aussi fragile ? Lors de sa création, le NPA espérait une montée des luttes et une radicalisation liée à la crise du capitalisme. Cela ne s’est pas produit. Dans une situation plus difficile, le NPA a du mal à définir une orientation et un projet.

Sur l’unité de la gauche de la gauche, il n’y a pas de réponse simple. Dans de nombreuses régions, anticipant ce qui vient de se passer en Limousin, le PCF n’a pas voulu discuter de programme et a voulu imposer au NPA qu’il s’engage à cogérer les régions avec le PS. Les accords de second tour que vient de passer le FDG sont d’ailleurs des accords de gestion avec le PS, pas des fusions démocratiques.
D’un autre côté, là où des alliances NPA-FDG ont été possibles, notamment ici et en Limousin, il y a eu une réelle dynamique de campagne et un ancrage à gauche des listes unitaires. On le voit avec le programme d’AGM!, largement en phase avec celui du NPA comme avec la décision du PCF du Limousin de refuser le diktat du PS, par solidarité avec le NPA. Nationalement, le NPA n’a pas su valoriser ces accords unitaires et s’en servir, soit pour pousser à des alliances du même type, soit pour sortir de l’image du «cavalier seul ».

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