NPA 34. Estivales 2011 : Bensaïd et l’occitan

A l’occasion des élections de Mars 1992, les animateurs de Tr’oc avaient posé à des personnalités politiques (du PS,
PCF, Verts, LCR, ADS …) qui nous ont semblé intéressées les trois questions suivantes :

1) Quelle visions(s) avez-vous de la (des) culture(s) et de la langue occitanes ? (entre musée et
création…)

2 – Comment concevez-vous son rôle (sa place), son développement ?

3 – Quels moyens politiques et institutionnels vous apparaissent adaptés (souhaitables) ?

Voici la réponse qu’avait faite Daniel Bensaïd [décédé en janvier 2010], un dirigeant de la LCR à l’accent du Sud-Ouest : Du vécu à l’autogestion. D Bensaïd avait participé activement à la fondation du NPA.

Je
vous remercie
d’avoir pensé à moi pour votre enquête. Malheureusement, bien que
natif de Toulouse, je dois avouer mon incompétence sur les questions que
vous posez. En réalite, depuis les débats animés des
années 70 (lorsque nous publiions les Cahiers Occitanie rouge à
Montpellier), je n’y ai guère réfléchi. Aussi ai-je pensé dans un
premier mouvement décliner votre proposition. Mais je craindrais
de faire preuve ainsi de mauvaise volonté envers votre projet. C’est
pourquoi je vous communique brièvement mes “réactions” spontanées au
questionnaire, tout en précisant que je ne serais
nullement choqué, si ces quelques lignes devaient aller au panier.

1
) Plutôt qu’une vision de la culture et de la langue occitane, j’en ai
d’abord un vécu. Celui de mon enfance.
Autrement dit la mémoire d’un étonnement devant les irruptions de
mots et d’expressions qui venaient trouer soudain, de leur étrangeté
musicale, la monotonie de la langue ordinaire. Il y avait là
le parfum de l’enchantement, de quelque chose qui résistait à la
perte et à l’oubli. Une réminiscence d’authenticité rebelle à la
marchandisation galopante de la culture et des mots.

Une
langue est aussi un concentré d’histoire. Il fallait être Staline et ne
rien comprendre, ni au langage ni à
l’internationalisme, pour passer ses années de prison à apprendre
l’espéranto ! C’était prétendre remplacer l’échange vivant par le
cosmopolitisme abstrait d’un vocabulaire sans histoire. La
langue vit de métissage. Que le gascon ou l’occitan aillent donc où
le français ne peut aller.

Quant
à savoir si son sort relève du musée ou de la création … Qui sait ?
L’histoire récente nous a appris à
nous méfier de l’illusion du sens unique et des tendances dites
inéluctables. Dans les années cinquante, l’euskera semblait voué à
dépérir. Il revit. Je connais mal le mouvement culturel occitan,
mais il me semble que des expériences, comme celle du théâtre de la
Carriera témoignent d’une possible vitalité.

2)
Ici commence le problème et, je le reconnais, mes contradictions. Un
mouvement culturel ne suffirait pas à
faire revivre une langue sans fonctionnalité sociale. Si l’euskera
ou le catalan ont repris leur souffle, c’est en rapport avec un
mouvement social, une revendication nationale, une redéfinition
de l’espace étatique (statuts d’autonomie), une politique scolaire,
etc. Est-il possible de faire vivre l’occitan sans une revendication
politique et sociale ? Qui le parlera dans ce cas, en
dehors de certaines populations universitaires ou rurales ?

Inversement,
comment faire en ces temps de particularismes exclusifs et de
nationalisme sectaires, pour qu’une
revendication nationale ne bascule pas dans la pétrification
étatique et la définition des frontières ? Peut-il exister un mouvement
d’autonomie culturelle (avec des revendications spécifiques
sur le terrain de l’école et des médias), sans visées étatiques. Je
le souhaite. Mais c’est surtout à vous d’y répondre.

3)
Quant aux moyens politiques et institutionnels, il me paraîtrait vain
et quelque peu démagogique de ma part,
de faire de grandes proclamations décentralisatrices, sur les moyens
budgétaires ou les programmes scolaires. C’est au mouvement d’en-bas de
définir ses objectifs. Quant à leur satisfaction, elle
nous entraînerait sur un terrain plus vaste, difficilement abordable
dans l’espace de votre tribune : celui d’une démocratie effective,
décentralisée, autogestionnaire, dont la crise actuelle des
institutions et de la représentation parlementaire atteste le
manque. Daniel Bensaïd, 75 – Paris

Tiré du blog des Editions la Brochure

A lire aussi


Prendre parti. Nouveau siècle, nouvelle gauche (Daniel Bensaïd, Contretemps n°1)


Daniel Bensaïd ou la politique comme art stratégique par Antoine Artous (Contretemos n° 7)


Articles de Daniel Bensaïd regroupés sur le site d’Europe Solidaire Sans Frontières)


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Illustration : 924086‑1094628.jpg


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