La Primaire populaire ou les avatars d’une initiative citoyenne

Pierre Khalfa – mars 2022

La décision de la Primaire populaire (PP) de soutenir Jean-Luc Mélenchon (JLM) a pu surprendre. Elle s’explique néanmoins si l’on revient sur le projet de ses animateurs. Mon propos n’est pas ici de contester la nécessité de soutenir la candidature de JLM, le seul aujourd’hui à gauche à pouvoir être au second tour, mais d’essayer d’expliquer à partir de mon expérience – j’ai participé au «  Conseil d’orientation »  de la PP et auparavant au processus qui y a abouti – ce qu’est la PP et les raisons qui ont poussé à ce choix.

 

La PP est une start-up, au sens premier de ce mot, agissant sur le terrain politique. Elle fonctionne comme une start-up et, comme telle, elle vise à grossir pour prendre sa place parmi les «  GAFA » que sont les partis qui structurent encore le champ politique. Comme pour tout nouvel entrant sur un marché hautement concurrentiel, ce projet s’est appuyé sur un produit nouveau : une primaire citoyenne. Sociologiquement, ses dirigeant.es sont des personnes jeunes – ce qui fait leur force – issues du milieu de l’entreprenariat social, passées pour certaines par Science-po. 

 

Un point à bien intégrer est celui du fonctionnement de la PP. Il n’a jamais été démocratique et surtout il s’assume comme non-démocratique. Il y a eu, lors du lancement du processus il y a environ un an, un conflit extrêmement violent au sujet de sa « gouvernance ». Les animateurs actuels de la PP ont réussi, en faisant un chantage au départ, à imposer un mode de fonctionnement où toutes les décisions seraient prises par un Bureau de quelques personnes, ce Bureau étant lui-même dominé par un petit groupe, le « pôle politique », qui avait le monopole des décisions politiques.

 

Ce fonctionnement a été parfaitement résumé par mon ami David Flacher, membre du Conseil scientifique d’Attac et de l’association Utopia. Je remets ici sa description :

on réunit des gens pour discuter en tenant plus ou moins compte de leurs avis, 

on apparaît comme rassembleur,

on insiste sur l’importance d’être efficace en créant un bureau exécutif resserré qui a de facto le pouvoir (avec une toute petite poignée de personnes aux commandes)

on donne une apparence de démocratie à cet édifice de deux manières :

en mettant en place un ensemble de comités théodules et autres « assemblées », « comité d’orientation »… Ça a l’avantage d’occuper certains, de servir d’exutoire. En plus, en multipliant les comités, on crée un peu de diversion si nécessaire ;

en faisant élire le bureau. Mais qui d’autre aura la légitimité sinon les membres du bureau qui ont animé les réunions depuis le début ?

on se sert de ce mécano (« le lieu du rassemblement ») pour lever des fonds… et légitimer, en retour, ce mécano. Il suffit en effet de constater que c’est le seul regroupement de forces qui a les moyens financiers de ses ambitions. 

Au-delà, il faut bien voir que, pour les animateurs de la PP, aucune autre initiative citoyenne sur la question de 2022 ne pouvait vivre en dehors d’eux. Ils ont ainsi torpillé toutes les initiatives

parallèles, – comme par exemple l’organisation de débats publics sur les divergences entre les candidats -, qui pouvaient exister alors même qu’elles étaient complémentaires de l’organisation d’une primaire. La préccupation des animateurs de la PP est donc moins l’orientation politique à défendre que le fait d’essayer à tout prix d’exister dans le paysage politique. D’où la facilité avec laquelle ils sont passés d’un soutien à Taubira à un soutien à JLM, même si cela n’a pas manqué d’attiser des tensions entre eux, une des principales animatrices ayant quitté la PP suite à ce choix.

 

Dans une première phase, ils ont tenté de séduire les partis, et surtout le PS et EELV car ils ne se faisaient pas d’illusion sur la participation de JLM à une primaire. Leur projet était d’apparaître comme « un tiers de confiance » incontournable dans un rapprochement PS/EELV, le choix précis de la candidature se faisant lors de la primaire. D’où un « socle commun » programmatique a minima sur nombre de sujets qu’aucun parti n’a d’ailleurs validé. Le refus ferme de Jadot et d’EELV de s’engager dans cette primaire a semblé à un moment tuer ce processus. Le nombre de signataires de l’appel pour une primaire stagnait sans que les divers communicants embauchés n’arrivent à le faire décoller, ce d’autant plus qu’aucun des candidats n’acceptait d’entrer dans ce processus.

 

Le tournant s’est produit avec la déclaration d’Hidalgo qui, dans une manœuvre désespérée pour relancer sa campagne, s’est déclarée favorable à une primaire. Du coup, la PP acquérait à la fois une visibilité médiatique et une crédibilité politique. Dans une situation où la gauche apparaissait éclatée et sans dynamique, l’hypothèse de la PP prenait consistance. Le nombre de signataires a commencé à gonfler, ce d’autant plus que JLM et Jadot ont été obligés de prendre des positions publiques sur ce sujet, renforçant ainsi la sensation qu’il y avait un enjeu politique dans cette affaire. L’engagement de Taubira, avec qui les dirigeants de la PP étaient en contact, a permis de lui donner une nouvelle impulsion, alors même que les attaques violentes de Jadot et de JLM, loin de l’affaiblir, renforçaient le processus en mobilisant les gens les plus politisés écœurés par le spectacle de la division. Dans cette situation, le savoir-faire médiatique des communicants embauchés par la PP a alors joué à plein.

 

Dans ces conditions, le résultat de « l’investiture » a été sans surprise : refus de participation des principaux candidats et victoire de Taubira. Le projet et le pari des animateurs de la PP reposaient sur le fait que, boostée par sa médiatisation importante et le vote de près de 400 000 personnes, Taubira allait s’imposer rapidement dans les sondages, marginalisant les autres candidats, ou tout au moins Jadot et Hidalgo, engageant ainsi à chaud un début de recomposition politique. Ce projet était explicitement celui d’un des principaux conseillers de Taubira qui par ailleurs avait participé au lancement de la PP et avait soutenu totalement ses dirigeants. Il a échoué, d’abord car Taubira ne s’est pas montrée à la hauteur des espoirs qui avaient été mis en elle, ensuite et surtout parce que les dirigeants de la PP ont confondu impact médiatique et audience politique. Près de 400 000 votes, c’est effectivement très important et inédit pour une initiative citoyenne, mais c’est peu pour bouleverser le champ politique, ce d’autant plus que, contrairement à l’analyse des animateurs de la PP, les partis, bien qu’en crise profonde, ne sont pas morts et structurent encore la vie politique. L’effet disruptif de la candidature Macron en 2017 tenait à l’effondrement du PS suite à la calamiteuse présidence Hollande. La candidature Taubira n’a pas bénéficiée d’une telle opportunité.

 

Cet échec a laissé les dirigeants de la PP démunis et sans orientation précise. Voyant la déconfiture de Taubira dans les sondages, ils ont hésité à s’engager totalement au début mais l’ont quand même fortement soutenue par la suite, tout en se laissant dans la « feuille de route » adoptée la possibilité d’un regroupement de candidatures, en l’occurrence avec celle de Jadot. L’échec de ce rapprochement, le soutien à Taubira alors même qu’elle apparaissait simplement

comme une candidate de plus, ont entrainé le départ d’un certain nombre de mouvements et de personnalités qui soutenaient la PP ainsi que celui de nombreux bénévoles. Le changement de statuts de l’association « 2022 ou jamais » qui portait la PP s’est accompagné de nouveaux débats sur le fonctionnement car les dirigeants de la PP ont de nouveau imposé un mode de fonctionnement vertical similaire à l’ancien, ce qui a encore accru le malaise existant. 

 

Dans cette situation, et après le retrait de Taubira, les dirigeants de la PP avaient deux choix possibles : soit ils décidaient de se retirer de la compétition électorale et redéfinissaient les objectifs de la PP pour créer un véritable mouvement citoyen inclusif et pluraliste ; soit ils choisissaient de rester dans le jeu électoral en soutenant un nouveau candidat. La première solution, qui était défendue par un certain nombre de leurs soutiens antérieurs, était à la fois difficile à mettre en œuvre, les obligeait à revoir le mode de fonctionnement qu’ils avaient adopté et surtout les éloignait de leur objectif principal, celui d’être une force qui compte dans le jeu politique partidaire. C’est donc la seconde solution qui a été choisie. Mais pourquoi soutenir JLM plutôt que Jadot, alors même que ce dernier était arrivé deuxième dans le vote d’investiture ? Il est probable que les relations avec EELV, dont nombre d’animateurs de la PP étaient plus ou moins proches, se soient fortement dégradées dans cette affaire, l’opération Taubira ayant été à juste titre perçue comme un coup de poignard. De plus, la candidature Jadot est aujourd’hui en grande difficulté. Dans ces conditions, le soutien à JLM s’imposait par défaut.

 

Quoi qu’il en soit de l’avenir et quoi qu’il restera de cette expérience, elle nous confirme beaucoup de choses sur les façons de concevoir la politique. Tout d’abord, les partis politiques n’ont pas le monopole des coups fourrés et des comportements antidémocratiques, les initiatives citoyennes n’en sont malheureusement pas exemptes. Ensuite, la logique entrepreneuriale a aussi envahi la sphère politique. Il est moins question de défendre un projet que de faire sa propre promotion. Enfin, et malgré tout, beaucoup de gens veulent peser sur les choix, faire de la politique et ne se résignent pas à ce qu’elle soit confisquée par des appareils des partis, c’est ce que montre le succès du vote à la PP.

Pierre Khalfa – mars 2022

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