Tunisie : interview d’un représentant de l’Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF) – 34.

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Ci-dessous, l’interview de Mohamed, membre de l’ATMF 34, une des organisations à l’origine du rassemblement de dimanche dernier à la Comédie.

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L’entrevue avec le représentant de l’ATMF 34

Peux-tu présenter l’Association des Travailleurs Magrhebins en France ?

L’ATMF puise ses racines dans les mouvements de libération nationale, dans les mouvements progressistes et de résistance, du mouvement ouvrier, dans des luttes de l’immigration et pour les droits humains au Maghreb. L’ATMF est une association démocratique, progressiste, laïque et indépendante de tous pouvoirs. Notre association contribue à la défense des exclus, des migrants avec ou sans papiers. Nous luttons contre les discriminations et les inégalités qui ont pour cause l’ethnie, la nationalité, le sexe, handicap, l’âge, la religion, Elle revendique l’égalité du droit à la pratique religieuse dans la dignité.
L’ATMF comprend parmi ses membres plusieurs Tunisiens et travaille en étroite collaboration avec les organisations progressistes ici en France, notamment la Fédération des Tunisiens pour la Citoyenneté des deux Rives (FTCR). Par ailleurs, dans la section de Montpellier, nous suivons avec attention les nouvelles qui proviennent de la Tunisie à travers les médias (Al Jazeera, Facebook) et les familles de nos ami(e)s tunisiens. Nous sommes également à l’écoute des différentes organisations progressistes en Tunisie notamment le syndicat Union Général des Travailleurs Tunisiens (UGTT) et le Parti Communiste Ouvrier Tunisien (PCOT) à travers les déclarations de son porte parole Hemma Hemmami qui vient d’être libéré il y a quelques jours.

Avez-vous été surpris de la rapidité avec laquelle le dictateur est tombé ?

Oui, la rapidité de la chute du dictateur Ben Ali nous a surpris mais, dans ses dernières déclarations, on voyait déjà l’angoisse dans ses yeux et ses paroles. Le peuple tunisien démontre que le pouvoir dictatorial est parfois très fragile lorsque la pression et la détermination de la rue sont fortes.

Quels sont les secteurs les plus en pointe dans la mobilisation ?

La jeunesse est le premier secteur à la pointe de la mobilisation. Il ne faut pas oublier que la flamme de cette « Intifada populaire tunisienne » a été déclenchée par Mohamed Bouazizi, jeune diplômé chômeur devenu vendeur de fruits et légumes, qui s’est immolé dans la région de Sidi Bouzid parce que des agents lui avaient confisqué sa marchandise. Ce cas n’est pas isolé ni dans la Tunisie ni dans la région maghrébine ni même dans l’ensemble des pays arabes. Plusieurs jeunes se sont déjà immolés devant le parlement marocain, d’autres l’ont fait en Algérie et un jeune l’a fait en Egypte. Dans nos pays, plusieurs jeunes issus des classes populaires mènent des études supérieures et se voient, à la fin de leur cursus, sans travail. Cette situation n’est plus tolérée et plusieurs d’entre eux essaient de s’organiser pour revendiquer le droit au travail.

Un autre secteur qui est à la pointe de la contestation est celui des travailleurs et de leur syndicat. La position prise par l’UGTT d’aller jusqu’au bout et de demander la fin du régime de Ben Ali s’explique par la pression de sa base militante qui en a marre des compromis avec le pouvoir en place. Il ne faut pas oublier que, dans le bassin minier de Gafsa, se sont surtout des militants syndicaux de l’UGTT locale qui ont organisé la lutte et qui se sont retrouvés en prison à la suite des manifestations.

Les démocrates, les avocats, les militants des droits humains et tous les progressistes ont bien sûr suivi le mouvement et ont essayé de l’appuyer avec des manifestations organisées partout en Tunisie.

Il faut également comprendre le rôle joué par l’Armée. Cette institution a depuis des années été marginalisée par le régime de Ben Ali au profit de la Police. Cette armée est parmi l’une des plus sous-équipée et la moins fournie en nombre de militaires dans la région, alors même que le taux de policiers par citoyen est très élevé. En refusant de tirer sur la foule le général Ammar, qui a été destitué par Ben Ali, puis rétabli après la fuite du dictateur a pu légitimer le rôle de l’armée auprès du peuple. Celle-ci a également respecté la constitution et n’a pas répondu à l’appel de certaines personnes qui demandaient un coup d’Etat. L’armée a également contribué, au côté des commissions populaires de quartiers, à l’arrestation des milices fascistes proches de Ben Ali qui essayaient de créer une anarchie propice à un renversement du régime et au retour du dictateur ou son remplacement par un proche.

Quelles sont les principales revendications aujourd’hui ?

Aujourd’hui les revendications sont différentes selon que l’on soit réformiste ou radical. Plusieurs partis de l’ancienne opposition ont accepté d’entrer au gouvernement aux côtés de l’ancien parti au pouvoir RCD. Leurs dirigeants veulent attendre les élections pour prendre la tête de la Tunisie. On pourrait se demander s’ils veulent vraiment rompre avec tous les anciens proches du régime et du RCD.

La gauche radicale en Tunisie, que l’on pourrait représenter aujourd’hui autour du Parti Communiste Ouvrier Tunisien (PCOT), l’aile radicale de l’Union Général des Travailleurs Tunisiens (UGTT) et d’autres mouvements comme le RAID-ATTAC / CADTM TUNISIE, demande un gouvernement provisoire sans RCD (ancien parti de Ben Ali à la tête de l’actuel gouvernement et qui y est encore très représenté), des élections libres et démocratiques, une assemblée constituante élue qui posera les bases de la constitution d’une vraie république démocratique. Ainsi que le jugement des responsables de l’ancien régime pour leurs meurtres, pillages et corruption.

Quel est l’état de l’opposition, peut-elle représenter une alternative au régime ?

En plus des partis d’opposition dont j’ai parlé avant, il faut citer le mouvement Annahda (islamistes modérés) qui veulent participer au gouvernement aux côtés du RCD mais qui n’ont pas été acceptés au sein du gouvernement actuel.

Toutes les forces de l’opposition : libéraux, gauche réformiste, gauche radicale, islamistes modérés, ont souffert de la répression du régime et recommencent à s’organiser en Tunisie.
Dire aujourd’hui que l’opposition est une alternative au régime de Ben Ali n’est pas possible puisque cette opposition ne constitue pas de bloc homogène.
L’espoir réside dans les forces de la gauche radicale, des progressistes, des démocrates et dans toutes les consciences citoyennes du peuple tunisien qui revendiquent une vraie constitution démocratique et un réel changement pour une alternative démocratique et sociale.

Quelles sont les menaces qui perdurent après le départ du dictateur ? (milices, réseaux mafieux…)

Aujourd’hui la menace des milices fascistes proches de Ben Ali est en train d’être éradiquée avec l’aide de l’armée et des conseils populaires organisés dans les quartiers. Le principal danger consiste en ce que l’ancienne garde reprenne le pouvoir et que des réformettes en trompe l’œil soient adoptées.

Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement français ?

Nous dénonçons la position du gouvernement français qui a soutenu le régime de Ben Ali depuis des années. Ce gouvernement applique la loi des deux poids, deux mesures puisqu’il soutient des révoltes « vertes » en Iran et au Tibet et se tait devant les arrestations de militants de droits humains, de journalistes, de syndicalistes et de citoyens tunisiens. Nous ne demandons pas à ce que la France fasse de l’ingérence dans les affaires publiques tunisiennes mais qu’elle ne soutienne pas les régimes qui violent les droits humains comme en Tunisie depuis des années. Les peuples opprimés, en Tunisie, et partout ailleurs en ont marre que les gouvernements français, européens et américains utilisent le spectre du danger islamiste (ou communiste comme au Venezuela et en Uruguay) pour soutenir des régimes non démocratiques en Tunisie, en Egypte, en Jordanie, au Maroc et j’en passe. Ce sont les peuples et leurs forces progressistes qui peuvent réaliser les changements démocratiques et non pas les interventions étrangères. L’exemple iraquien doit être médité.

Comment pouvons-nous soutenir, ici en France, le peuple tunisien ?

Le combat n’est pas fini avec la chute de Ben Ali. Plusieurs organisations militantes revendiquent un gouvernement provisoire sans RCD. Des manifestations ont lieu en Tunisie avec comme mot d’ordre : « RCD dégage ». Ils demandent également le jugement des responsables de violations des droits humains. Il faut continuer à mettre la pression sur le gouvernement français pour qu’il arrête de soutenir les élites corrompues du RCD. Qu’il continue à geler les avoirs des proches et de la famille de Ben Ali. Et qu’il ne les accueille pas en territoire français.

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