SARS-CoV-2 : Des stratégies en évolution et des réponses à inventer

# 10 – Janvier 2022 : note du groupe de réflexion sur la crise sanitaire

Les stratégies pour contrer l’épidémie de SARS-CoV-2 ont évolué depuis le début de cette crise en Janvier 2020, ce qui n’a rien de choquant compte tenu de l’amélioration de nos connaissances et des évolutions du virus lui-même. L’adaptation des stratégies sanitaires a été débattue dans le monde scientifique. Mais l’évolution des mesures sanitaires prises par les gouvernements à travers le monde a rarement été expliquée au grand public. L’un des pires modèles de ce point de vue étant E. Macron et sa gouvernance autoritaire et soi-disant infaillible de la crise. Pourtant, la compréhension de ces enjeux à une large échelle est essentielle pour créer de la confiance dans les mesures prises et obtenir un haut niveau d’adhésion et d’implication des populations. Ce qui est nécessaire pour lutter avec efficacité contre une telle crise.

Cette note se propose d’abord de retracer l’historique de la manière dont les stratégies ont évolué et des raisons qui ont déterminé les scientifiques et les gouvernements à les faire évoluer, en Europe et au plan international1. Elle se propose ensuite de tracer quelques perspectives et d’imaginer quelques réponses nouvelles à la situation.

 

Des variants et des variations dans les stratégies

1ère phase : Eradiquer le virus par la recherche d’une immunité collective acquise par sa diffusion, ou au contraire, l’éradiquer en bloquant sa diffusion.

Alors que le virus commençait à peine à se diffuser en Europe, des gouvernements imaginaient pouvoir se sortir de la crise par une diffusion massive du virus dans la population, espérant aboutir à une « immunité collective ». L’immunité collective correspond à un seuil théorique à partir duquel, si un certain pourcentage de la population a développé des anticorps contre un virus, celui-ci ne peut plus circuler et disparait. Concept dont la validité est désormais débattue dans la communauté scientifique, nous y reviendrons.

En Europe, le cas le plus extrême a été celui de l’Angleterre de Boris Johnson. Mais la stratégie française de la « mitigation » – ne pas stopper la vague de Covid mais la ralentir pour que le virus se diffuse sur une durée plus longue afin d’éviter que les hôpitaux ne débordent – était fondée sur une logique en partie analogue. Cette hypothèse était basée sur une grave sous-estimation de la contagiosité et de la virulence du SARS-CoV2. Elle a donc été très vite abandonnée (sauf en Suède) du fait de la diffusion bien trop rapide du virus et de la saturation des hôpitaux qui s’en est suivie.

Cela a abouti aux confinements du printemps 2020 qui ont permis de diminuer drastiquement le nombre des contaminations. Alors que l’été arrivait, que le virus avait reflué un peu partout et que le nombre de cas était très faible, il a été un temps envisagé (même si cela n’était pas franchement fondé scientifiquement) que le SARS-CoV-2 allait disparaitre par lui-même et qu’il n’y aurait pas d’autres vagues. Dès la fin de l’été le nombre des cas a commencé à remonter en flèche partout en Europe et cela a abouti à une deuxième période de confinement à l’automne 2020.

Ailleurs dans le monde, certains pays, surtout en Asie et en Océanie, ont adopté une stratégie dite « zéro Covid », dont le but était d’éradiquer le virus en bloquant totalement sa diffusion. Néanmoins, les mises en œuvre de cette stratégie ont généralement buté sur le fait qu’on ne peut éradiquer un virus dans un seul pays. Encore moins un virus qui avait circulé et circulait encore à des niveaux aussi élevés ailleurs dans le monde. Si un certain nombre de ces pays sont parvenus à maintenir des niveaux de mortalité faibles en appliquant cette stratégie, il semblait peu probable, compte tenu de l’intensité des échanges mondiaux, qu’elle puisse permettre d’éradiquer réellement ce virus à l’échelle planétaire.

En effet, si une fenêtre d’opportunité avait pu exister pour une telle stratégie par une réaction rapide et mondiale dès l’apparition du virus, et encore sans garantie de succès, elle n’était plus possible neuf mois plus tard, alors que des millions de personnes avaient été contaminées à travers le monde. A l’été et au début de l’automne 2020, malgré le nombre impressionnant de personnes ayant contracté le Covid-19, nous étions encore très loin du seuil théorique susceptible de nous permettre d’atteindre l’immunité collective. En France par exemple, 5 à 10 % de la population avait contracté le Covid alors que le seuil d’immunité collective était estimé aux alentours de 70%. Il ne restait donc plus qu’un espoir pour sortir de la crise : le développement de vaccins.

2e phase : Eradiquer le virus en obtenant l’immunité collective par la vaccination de masse ?

A la fin de l’année 2020 survient une excellente nouvelle : des vaccins permettent de diminuer drastiquement à la fois les formes graves de la maladie et le risque d’être contaminé, en particulier les vaccins à ARN messager Pfizer et Moderna2. Dès que ces données sont confirmées en population générale, à la fin de l’hiver 2021, ressurgit alors l’idée de l’immunité collective, obtenue désormais par la vaccination massive de la population et non plus par la contamination d’un très grand nombre de sujets.

Mais déjà, le variant Alpha, apparu à l’automne 2020 en Angleterre et qui a concurrencé assez vite la souche « historique » du virus, a conduit à une hausse du seuil théorique d’immunité collective car il était plus contagieux. Les vaccins restaient par contre toujours aussi efficaces contre ce variant, bien qu’ils aient été développés à partir de la première souche. Puis le variant Delta est apparu en Inde en Décembre 2020 et est devenu assez rapidement majoritaire. Variant beaucoup plus contagieux et virulent que le variant Alpha, résistant également mieux aux anticorps développés contre les précédentes souches virales, et cela que l’immunisation ait été acquise par la vaccination ou par la contamination. Les vaccins demeurent néanmoins très efficaces contre les formes graves liées à ce variant. On découvre cependant que l’immunité contre ce virus (en observant les taux d’anticorps comme proxy) tend à baisser au bout de plusieurs mois, que l’immunisation ait été acquise par l’infection3 ou par la vaccination4 (la baisse de l’immunité au cours du temps n’est donc pas due à « ces vaccins » comme on l’entend souvent mais est une caractéristique de l’immunité induite par ce virus). La protection contre les formes graves reste néanmoins plus durable dans le temps. Cela a conduit à la décision d’injecter une 3ème dose de vaccin, permettant de « rebooster » les niveaux d’anticorps, dans la plupart des pays qui avaient les moyens de poursuivre une politique de vaccination de masse.

Avec le variant Delta, le seuil théorique d’immunité collective remontait significativement : il était estimé à 80-90% de la population. La stratégie de l’immunité collective, telle qu’elle avait été envisagée par les gouvernements européens et américains, commençait donc alors à être sérieusement remise en question. En effet, telle que cette stratégie avait été pensée politiquement, le seuil théorique d’immunité collective pouvait être atteint dans un seul pays. Or à nouveau, l’épidémie est mondiale et de nouveaux variants plus contagieux, échappant partiellement à l’immunité acquise, apparaissent dans les pays peu vaccinés où le virus circule beaucoup (Delta en Inde et plus récemment Omicron en Afrique australe) et se diffusent à travers le monde. Ils bloquent toute perspective d’atteindre le seuil d’immunité collective théorique dans un seul pays, et les niveaux de contagiosité record atteints par le variant Omicron rendent cette perspective désormais très improbable à l’échelle mondiale.

Cette stratégie aurait pu être envisagée seulement en vaccinant massivement et très vite la population mondiale, dans des délais permettant d’envisager d’atteindre un seuil suffisant d’immunité à cette échelle avant l’émergence et la diffusion de nouveaux variants résistant aux vaccins où à l’immunité acquise par contamination avec les souches virales antérieures. Cela nécessitait en réalité, pour être envisagé, la mise sous licence publique des brevets, ainsi que la réquisition et la mise en œuvre à une échelle de masse des technologies et moyens de production nécessaires. Cela impliquait en outre une mobilisation logistique sanitaire considérable pour garantir une vaccination efficace à l’échelle mondiale dans des délais très rapides… On sait ce qu’il en a été… Encore une fois, penser bloquer l’épidémie dans un seul pays n’a pas de sens et conduit à des mauvaises surprises en boomerang.

3e phase : Vers une « endémisation » du virus avec Omicron ?

En novembre 2021 est apparu le variant Omicron en Afrique australe. Celui-ci est à la fois beaucoup plus contagieux que le variant Delta et beaucoup plus résistant aux anticorps produits contre les précédents variants. Néanmoins, si la protection contre l’infection est fortement réduite, la protection contre les formes graves se maintient mieux. En effet, si la protection apportée par deux doses de vaccins (ou une infection antérieure) diminue au cours du temps, l’injection d’une 3ème dose permet d’atteindre à nouveau des taux élevés, en particulier contre les formes graves5. D’après les données anglaises de suivi de l’épidémie6, l’administration d’une 3e dose est associée à une forte augmentation de la protection contre les formes symptomatiques (qui passent de 10 % 6 mois après la deuxième injection à plus de 60 % plusieurs semaines après la 3ème dose) et à une forte augmentation de la protection contre les hospitalisations (50 à 70 % d’efficacité 6 mois après la deuxième dose, aux alentours de 90 % après la 3ème dose). Certaines des études citées suggèrent que le niveau de protection et les taux d’anticorps sont supérieurs chez les personnes ayant été à la fois vaccinées et infectées, en particulier contre le variant Omicron, suggérant que la combinaison de différentes « couches » d’immunité (venant à la fois de la vaccination qui protège des formes graves, et de l’infection qui agit comme un rappel) pourrait conduire à une immunité plus durable. Ces données sont néanmoins à confirmer car elles restent assez récentes et obtenues sur des échantillons restreints, et de nombreux facteurs peuvent faire varier les taux d’anticorps (nature du variant et durée écoulée entre la vaccination et l’infection notamment).

Nous tenons ici à faire un aparté concernant une fake news ayant beaucoup circulé qui prétendait qu’un rapport du gouvernement britannique démontrait que les vaccins contre le Covid détruiraient le système immunitaire. Ceci étant basé sur le fait que les taux d’anticorps contre la protéine N (la nucléocapside, l’enveloppe du virus) étaient inférieurs chez les personnes vaccinées puis infectées par le virus en comparaison des personnes non-vaccinées ayant contracté le virus. Or, comme cela est expliqué dans ledit rapport, ceci est en fait une preuve de l’efficacité des vaccins : les personnes vaccinées puis infectées développent des formes moins graves de la maladie et leur réponse immunitaire est donc moins explosive. Ce qu’il n’empêche qu’elles développent quand même des anticorps contre l’ensemble des protéines du virus (la protéine S, ou Spike, que ciblent les vaccins et la protéine N) lorsqu’elles sont infectées7.

Le fait important reste que malgré sa contagiosité record et son échappement immunitaire, le variant Omicron est bien moins virulent et conduit à moins de formes sévères que le variant Delta : la probabilité de passage en soin critique est près de trois fois plus faible avec le variant Omicron qu’avec le variant Delta8. Ces données changent radicalement la façon d’envisager la suite de l’épidémie. Imaginer la disparition d’un virus aussi contagieux que la variant Omicron semble désormais totalement irréaliste. Néanmoins, sa moindre virulence ouvre la voie à une « endémisation » du virus. C’est à dire à une situation où il continuerait à circuler, mais en ne provoquant plus qu’un petit nombre de formes graves, car la population sera largement immunisée contre lui par les vaccinations et les infections successives9. C’est le modèle de la grippe. L’épidémie est donc en train de changer de phase : le nombre de cas positifs n’est plus un indicateur central de sa gravité ; le paramètre crucial est désormais le nombre de formes graves que le virus provoque. La vaccination reste centrale pour réussir à sortir de cette crise aigüe. Si la protection contre l’infection par le virus a diminué, elle permet néanmoins toujours de réduire drastiquement les formes graves grâce à des rappels réguliers.

L’hypothèse privilégiée par la plupart des scientifiques désormais est qu’au cours du temps, l’immunité acquise par des vaccinations régulières et des infections, dans la plupart des cas bénignes grâce à la protection apportée par les vaccins, vont conduire à cette endémisation du virus et nous permettre de sortir de cette crise aigüe. Se reproduirait alors ce qui s’est déjà produit dans le passé à l’occasion d’autres pandémies virales : plusieurs vagues successives frappant les populations jusqu’à ce qu’elles développent une immunité suffisante pour que la vie puisse reprendre normalement. Sauf qu’ici ce processus peut être accompagné et accéléré par la vaccination. En l’absence de vaccins, 1/3 de la population de l’Europe occidentale est morte de la grande peste des années 1350 avant que l’ensemble de la population concernée ait pu développer une immunité suffisante pour enrayer la pandémie…

Il va donc sans dire que des rappels vaccinaux réguliers pour l’ensemble de la population (dans des intervalles de six mois à un an) pendant quelques années (combien de temps, on ne peut pas le prédire à l’avance), puis des rappels vaccinaux annuels pour les populations fragiles (comme on le fait pour la grippe) sont hautement préférables à la perspective de voir mourir une part significative de la population mondiale. Notre choix est donc rapidement fait. C’est pour cela que nous défendons avec force la levée des brevets sur les vaccins. Car cette chance ne doit pas être réservée aux citoyens et citoyennes des pays les plus riches.

 

Vers le bout du tunnel ?

La crise n’est donc pas finie et il ne s’agit pas de dire que le variant Omicron n’est pas un virus dangereux. La vitesse à laquelle il se répand et sa capacité à induire un nombre non-négligeable de formes graves doivent nous conduire à rester prudents. De plus, d’autres variants peuvent apparaitre du fait de sa forte diffusion et on ne peut pas prédire à l’avance leurs conséquences. Si, en règle générale, l’évolution des virus tend à ce qu’ils deviennent plus contagieux mais moins virulents – puisque ceci constitue la meilleure combinaison pour se diffuser beaucoup, ce qui est la principale pression évolutive pour un virus – l’évolution des espèces n’est pas un processus linéaire et peut emprunter beaucoup de méandres avant d’aboutir à une certaine stabilité. Si l’on peut estimer quels sont les scénarios les plus probables, il est impossible de prédire vraiment les évolutions d’un virus. Même la grippe, qui est un virus endémique avec lequel l’espèce humaine vit depuis près de 5000 ans, génère parfois des variants conduisant à des pandémies comme la grippe espagnole, ou H1N1 plus près de nous.

Vouloir siffler la fin de partie pour le SARS-CoV-2 est sûrement tentant politiquement pour les gouvernements, mais cela n’a aucun sens sur le plan scientifique. A l’heure actuelle on peut seulement envisager un trajet – qui ne sera pas forcement linéaire et dont la durée est difficile à prévoir – vers une vie réellement compatible avec la présence endémique du virus.

 

Que faire à moyen-terme ?

En attendant cette « endémisation », quelles solutions mettre en œuvre à moyen-terme ? Précisons déjà que les mesures de contraintes inutiles (telle que l’obligation du port du masque dans la rue alors que l’immense majorité des contaminations ont lieu en milieu clos) – qui ne servent à rien à part à donner l’illusion aux autorités de faire quelque chose – et les incohérences permanentes doivent cesser. Elles sont contre-productives. Il faut au contraire se concentrer sur les aspects qui sont utiles pour lutter contre l’épidémie et démontrés scientifiquement.

Comme développé plus haut, la vaccination régulière reste un outil absolument essentiel dans la lutte contre le SARS-CoV-2. Elle permet de réduire drastiquement les formes graves et permet une immunisation progressive de la population via une accumulation de couche successives d’immunité (dont des infections, en grande majorité bénignes grâce à la protection apportée par la vaccination). Si le passe sanitaire a permis d’augmenter significativement le taux de vaccination dans la population générale, il a eu un effet très limité sur les publics les plus éloignés du système de santé, dont certains figurent parmi les plus à risque de faire des formes graves du Covid, et n’a pas permis de réduire l’hésitation vaccinale10. Si les campagnes vaccinales sont amenées à durer plusieurs années, il est donc essentiel de mener une vraie politique « d’aller vers » et d’impliquer les populations au plus près dans l’organisation de ces campagnes pour convaincre de l’utilité des vaccins et des bénéfices à en tirer pour toutes et tous. La pédagogie est essentielle et la contrainte ne peut pas seule porter ses fruits.

Il faut développer la vaccination des enfants qui, s’ils sont moins à risque de faire des formes graves, n’en sont pas exemptés. Les forts taux de contaminations liés à Delta et encore plus à Omicron font que le nombre de cas dans la population infantile augmente, ainsi que le nombre de formes graves. Si ceci était prévisible dès cet été (nous le disions déjà dans une précédente note1), c’est désormais devenu une évidence. Il faut donc convaincre et expliquer que les études montrent que les vaccins sont sûrs et efficaces pour prévenir la contamination par le SARS-CoV-2 chez les enfants11.

Un aspect important dans les prochaines années va être le développement de nouveaux vaccins plus efficaces contre les nouveaux variants qui vont apparaitre. Des débats existent dans la communauté scientifique pour savoir s’il vaut mieux développer des vaccins spécifiques du variant Omicron ou bien des vaccins pan-coronavirus (s’attaquant à tous les coronavirus existants)12. Une étude récente a comparé les réponses immunitaires contre différents variants de personnes ayant été immunisées de façon « homologue » (toujours par le même variant) et de personnes ayant été immunisées de façon « hétérologue » (par différents variants). Elle montre que l’efficacité de l’une ou l’autre forme d’immunisation dépend du variant considéré et qu’il n’y a pas de règle en la matière13. Ainsi, les auteurs suggèrent que de plus amples études sont nécessaires (en particulier sur le comportement du variant Omicron non-analysé dans cette étude) pour définir s’il vaut mieux développer des vaccins de nouvelle génération ou continuer à utiliser les mêmes vaccins. Il est nécessaire d’approfondir ces données pour définir la meilleure stratégie pour faire évoluer les formulations vaccinales dans les mois et années à venir. Ceci souligne encore une fois l’importance de la levée des brevets sur les vaccins, permettant que se développe une recherche ouverte sur le sujet et donc une accélération des découvertes (en plus d’une plus grande confiance des populations dans les vaccins).

Il est également crucial de réarmer l’hôpital et de renforcer les capacités d’hospitalisation et de réanimation pour faire face aux années de transition à venir. La vaccination protège fortement contre les formes graves. Mais cette protection n’est pas complète, en particulier pour les personnes immunodéprimées (et bien sur les personnes non-vaccinées et non-infectées ne sont pas protégées). Il y aura donc des formes graves liées au Covid-19 pendant plusieurs années encore, de même qu’il y en a chaque hiver pour la grippe et il est nécessaire d’armer l’hôpital public pour pouvoir y faire face.

Le développement de traitements va de pair avec ce réinvestissement hospitalier. Des études récentes, non encore publiées, suggèrent que deux nouveaux traitements (l’un par Merck et l’autre par Pfizer) seraient efficaces, voire très efficaces, pour diminuer le risque d’hospitalisation14. Il faut encore attendre les données en population générale pour savoir si ces traitements sont aussi efficaces que lors des essais, mais ceci constitue un espoir important et un potentiel tournant majeur dans la lutte contre ce virus.

La stratégie de test doit être totalement remise à plat. Si les tests ont principalement été utilisés en France comme une mesure de contrôle (liée au passe sanitaire), ils doivent désormais être pris en charge à la base par la population. Le niveau des contaminations liées à Omicron est bien trop haut pour espérer détecter tout le monde et les files d’attentes interminables devant les pharmacies ne peuvent pas durer éternellement. Plutôt qu’une stratégie de contrôle, les tests doivent être utilisés comme un moyen individuel de savoir si l’on est contagieux ou pas (et donc de s’isoler en conséquence). Plutôt que de tester de façon réactive (lorsqu’un cas apparait dans l’entourage), il est plus efficace de tester de façon systématique15. L’exemple de l’Angleterre est instructif de ce point de vue : des autotests sont distribués gratuitement et massivement à la population à qui il est demandé de se tester régulièrement (par exemple il est recommandé de se tester deux fois par semaine dans certaines universités) via ces tests simples à utiliser et moins invasifs (tests nasaux plutôt que nasopharyngés). Ils sont sans doute un peu moins précis mais du fait du nombre bien plus grand de tests effectués, cette approche montre ses fruits. Il semble évident qu’elle doit se généraliser, à commencer par les établissements scolaires et universitaires et dans les lieux brassant beaucoup de public. Comme pour les gestes barrières, il faut que le réflexe de se tester soit pris en main directement par la population plutôt que vu comme un moyen de contrôle par en haut. Des tests plus précis pourraient continuer à être accessibles, en particulier dans des cas où des personnes à risque pourraient être exposées.

Il faut être prêts à tout moment à ralentir la circulation virale par des mesures d’organisation de la vie sociale et économique s’il y a un risque de débordement hospitalier. Cela suppose donc de planifier les moyens et les organisations appropriées en les envisageant à des échelles géographiques permettant de tenir compte des inégalités de circulation virale et avec des seuils explicites et concertés qui doivent permettre leur activation dans des conditions transparentes et perçues comme légitimes. La gestion collective et transparente de la situation sanitaire, sa maîtrise démocratique à l’échelle locale (celles des territoires, mais aussi celles des entreprises et des services) conditionnent la mise en œuvre de réponses efficaces dans la durée. Une fois de plus cela suppose la rupture avec le cadre actuel de gestion de la crise sanitaire en France, vertical, autoritaire et largement incohérent et inefficace.

Enfin des moyens importants doivent être mis en œuvre pour le contrôle et l’amélioration de la qualité de l’air dans les lieux d’étude, de travail, de culture, etc. Il faut viser à réduire au maximum la transmission en agissant sur une réduction des aérosols du virus en suspension dans les lieux que nous fréquentons. Comme le soulignent de nombreux chercheurs il reste sur ce point des recherches à entreprendre pour répondre à de nombreuses questions. Par exemple y-a-t-il un seuil de CO2 en dessous duquel on élimine ou réduit considérablement le risque de transmission ? Quel rôle peut jouer la filtration et la purification de l’air dans les locaux qui ne peuvent pas facilement être aérés ? Quoiqu’il en soit c’est un axe important d’adaptation à la pandémie sur lequel il convient maintenant de réfléchir en termes d’organisation et d’adaptation de nos pratiques, et d’investir en termes de ressources et d’équipements.

 

Des réponses à inventer

Pour conclure, face à un virus dont on peut considérer qu’il va continuer à circuler dans la population humaine à long-terme, et dont les effets néfastes risquent de se faire encore ressentir plusieurs années, il est temps de changer de stratégie et de cadre de gestion de la crise. D’abord, l’appropriation privée et les bénéfices tirés par les grands groupes sur les vaccins, les traitements et les tests, sont un obstacle au développement des solutions les plus conformes à l’intérêt de la population dans son ensemble. Ces outils, à commencer par les vaccins, doivent être accessibles mondialement et gratuitement, ce qui nécessite la levée des brevets. Ensuite, la « guerre-éclair » contre le virus qui donnait une justification implicite aux stratégies gouvernementales autoritaires et verticales, a fait long-feu. L’implication de la population à tous les niveaux est désormais cruciale dans le cadre de ce qui est en réalité une guerre longue. Les campagnes sur les mesures sanitaires nécessaires (vaccination, tests, organisation de la vie économique et sociale) doivent être prises en charge par les intéressé.es et leurs organisations au plus près des lieux de travail (entreprises), de vie (écoles, quartiers) et de loisirs (sports, spectacles).

La compréhension et la mise en œuvre active par la population elle-même des mesures utiles de prévention primaire est une condition de leur plein succès. Cela suppose la mobilisation des droits existants et la création de droits nouveaux, ainsi qu’une politique d’éducation sanitaire – notamment en direction des jeunes et des enfants – comme la mise sur pied d’outils et d’instances démocratiques, d’information et de gestion de la crise sanitaire : heures d’information syndicale, formations sanitaires (y compris à l’école), réunions publiques dans les quartiers et les localités, conseils citoyens, vaccination sur les lieux de travail et d’étude, etc. Tout ceci doit être envisagé et discuté pour que les mesures qui s’imposent soient comprises et que l’adhésion à celles-ci soit largement partagée dans la population afin de sortir au plus vite de la crise actuelle et d’aborder la phase de transition qui nous attend dans les meilleures conditions.

Groupe de réflexion sur la crise sanitaire – Note # 10 – Janvier 2022

1 Cette note se veut complémentaire de notre récente note #9 sur les mesures à prendre à court-terme face à l’épidémie : https://reflexions-echanges-insoumis.org/face-a-omicron-un-gouvernement-discredite/

7 Très bonne explication disponible dans cet article : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1849835/gouvernement-britannique-vaccin-covid-19-endommage-systeme-immunitaire-rapport?depuisRecherche=true

Les rapports anglais dont sont issus ces données sont citées en note 6.

8 Voir les données de suivi anglaise citées en note 6 et cet article de blog du Monde datant de début janvier synthétisant ces données : https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2022/01/03/covid-19-ce-que-lon-sait-de-la-severite-de-linfection-a-omicron/

 

10 Voir cette étude dans Nature Medicine : https://www.nature.com/articles/s41591-021-01661-7

 

12 Voir cet éditorial de la revue Science faisant le point sur ce débat : https://www.science.org/content/article/what-does-omicron-mean-future-covid-19-vaccinations

 

14 Voir cet éditorial dans la revue Nature : https://www.nature.com/articles/d41586-021-03074-5

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