Région LRMP. Apprentissage, un nécessaire bilan des perspectives à définir.

Par Myriam Martin. La prise en charge de l’apprentissage est une compétence régionale. Les Régions ont un rôle central de pilotage et d’évaluation et consacrent à l’apprentissage un financement conséquent.

La prise en charge de l’apprentissage est une compétence régionale importante tant dans son fonctionnement que dans son financement. À la demande du gouvernement, l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGN), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), l’Inspection Générale de l’Administration, de l’Education Nationale et de la Recherche (IGAENR) ont été « missionnées » en novembre 2014 par le gouvernement pour « identifier et évaluer des pratiques professionnelles de lutte contre les ruptures de contrats d’apprentissage et de sécurisation des parcours mises en œuvre au niveau régional ». Que pointe ce rapport et quelles conclusions devons-nous en tirer ?

La prise en charge de l’apprentissage est une compétence régionale. Et pas une des moindres. D’une part, parce que les Régions ont un rôle central de pilotage et d’évaluation. D’autre part, parce que les Régions consacrent à l’apprentissage un financement conséquent. Pour donner un exemple concret, on peut citer les chiffres fournis pour l’année dernière par l’ancien conseil régional Midi Pyrénées :

« 18 500 apprenti-e-s, 700 formations accessibles sur la Région Midi-Pyrénées préparant à 300 diplômes différents du CAP au niveau Bac +5 (diplômes d’ingénieurs, Masters), 64 Centres de Formation d’Apprentis (CFA) ou sections d’apprentissage.

74 millions d’euros de budget régional financent l’apprentissage dont : 42.4 millions d’euros pour le fonctionnement des formations, 2.8 millions d’euros pour la rénovation, l’équipement et l’entretien des CFA, 22.8 millions d’euros pour les aides régionales aux employeurs d’apprentis, 6 millions d’euros pour les aides aux apprentis via la Carte Jeunes Midi-Pyrénées ».

Rien d’étonnant au fond puisque la promotion de cette voie de formation est sans cesse valorisée, valorisation qui a été confirmée par le Plan de Relance de l’Apprentissage en juillet 2014 présentée par le pouvoir actuel.

Mais au-delà des effets d’annonce sur l’apprentissage, présenté souvent sans nuance comme « une voie d’excellence », il est essentiel de comprendre ce qui est en jeu derrière cette orientation politique. Pour cela, la présentation des données existantes sur ce sujet est primordiale. Données qui ne sont pas faciles à trouver (notamment au sein des Régions), ou qui sont partielles.

La Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) a remis un rapport sur l’apprentissage en 2014, publié en juillet 2015, mettant en perspective les résultats de cette analyse avec des données antérieures.

Le premier constat est significatif : en 2014, avec 265 000 nouveaux contrats d’apprentissage comptabilisés dans le secteur privé, et un peu plus de 8700 dans le secteur public, on constate une baisse de, respectivement, 3 % et 4 % par rapport à 2013. La baisse était encore plus importante en 2013 (8 % pour le privé). Globalement, les entrées en apprentissage baissent pour les préparations de diplômes de niveau IV et V (BEP, CAP et Bac Pro), alors qu’elles augmentent pour les préparations de diplôme dans le supérieur (tendance lourde depuis près de 20 ans).

Deuxième constat : même si les recrutements d’apprentis augmentent nettement en 2014 dans les entreprises de plus de 250 salarié-e-s, et même si on observe le phénomène inverse dans les entreprises de moins de 50 salarié-e-s, ces dernières restent les principaux employeurs d’apprentis avec 73 % des nouveaux contrats. Les jeunes y sont peu diplômés.

Troisième constat : ruptures et abandons des contrats d’apprentissage. 28 % des contrats d’apprentissage 2012-2013 ont été rompus avant leur terme théorique. Ce taux peut être de 32 à 35 % pour les contrats d’une durée de 13 et 24 mois (les contrats les plus nombreux). Parmi ceux qui ont rompu leur contrat, à peu près 21 % abandonnent définitivement l’apprentissage. On observe moins de ruptures dans le supérieur : plus l’apprenti est jeune et plus la rupture est élevée (36 % pour les moins de 18 ans).

Quels enseignements peut-on tirer de ces premiers constats ?

Tout d’abord, la nécessité d’établir un bilan sérieux de l’état de l’apprentissage ne peut plus être écartée. On ne peut pas aborder la formation des jeunes par le seul biais de l’apprentissage quand on voit les disparités de réussite qui existent en fonction du secteur d’activité, de l’âge des apprentis, de la taille des entreprises etc.… Or, en 2013, l’apprentissage coûtait 4 milliards au budget de l’État soit 75 % de la dépense publique consacrée à l’emploi des jeunes. Et le plan de relance de l’apprentissage annoncé en juillet 2014 confirme que c’est cette voie qui est majoritairement retenue par le gouvernement. Cela se traduit par des politiques régionales très favorables à l’apprentissage. Pourtant, les problèmes liés aux politiques menées actuellement ont été pointées : à la demande du gouvernement, l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGN), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), l’Inspection Générale de l’Administration, de l’Education Nationale et de la Recherche (IGAENR) ont été « missionnées » en novembre 2014 par le gouvernement pour « identifier et évaluer des pratiques professionnelles de lutte contre les ruptures de contrats d’apprentissage et de sécurisation des parcours mises en œuvre au niveau régional ». Que pointe ce rapport ? (Lire le texte intégral du rapport)

1) Un grand nombre d’acteurs intervient dans la mise en œuvre de la politique d’apprentissage : Etat, Région, organismes consulaires, partenaires sociaux, branches, CFA, apprentis, entreprises. Le rapport pointe un défaut de  cadre méthodologique commun clairement défini qui fait que, sous un même intitulé, des réalités différentes existent soumises à l’interprétation de chacun.

2) la multiplicité des interlocuteurs potentiels pour l’apprenti remet en question l’efficacité même de l’offre de l’aide auprès de l’apprenti qui ne sait pas souvent à qui s’adresser. De même, les acteurs susceptibles d’accueillir les apprentis ayant rompu leur contrat ne sont ni informés de la rupture, ni articulés entre eux pour organiser sa prise en charge. Les liens avec les plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs sont très rares.

3) Le maître d’apprentissage n’est pas toujours formé à sa fonction. Son rôle et le cadre juridique qui le lie à l’apprenti ne sont pas souvent maîtrisés.

Ce rapport est à destination du gouvernement et des Régions. On peut imaginer que ces deux institutions responsables de la politique de l’apprentissage pourraient prendre acte de ces recommandations qui ne remettent certes pas en question les orientations actuelles, mais qui émettent des critiques dont il serait utile de tenir compte.

Pourtant, l’engouement pour l’apprentissage ne se dément pas. C’est une orientation forte annoncée par Mme Delga, présidente de région LRMP dès janvier 2016. C’est une orientation présentée comme incontournable. Or, les éléments apportés ci-dessus l’ont prouvé, il est temps d’interroger aujourd’hui cette stratégie du tout apprentissage.

Pourquoi cet obsession qui était déjà portée par la droite ?

 Sans doute les raisons de cette politique sont multiples. En premier lieu, il s’agit d’afficher, et ce depuis des décennies, que la formation en entreprise peut se substituer à la formation tout cours, à celle reçue dans des établissements publics. Cette vision très libérale est souvent mise en avant par les organismes patronaux dont le MÉDEF. Ensuite le développement de l’apprentissage s’effectue aujourd’hui au détriment des lycées professionnels publics : il est très fréquent que la fermeture d’une section en LP s’accompagne d’une ouverture de formation similaire en CFA. Cela se traduit par la mise en danger de l’offre de formation publique et cela correspond, finalement, à la volonté de « maîtriser la dépense publique » en réduisant le champ des services publics dans ce pays.

Pourtant comme vu plus haut, les très jeunes semblent se détourner de ce type d’orientation et quand ils l’ont choisi, les ruptures de contrats sont plus nombreuses.  C’est cette réalité-là qu’il faut appréhender : l’apprentissage peut ne pas convenir à un public trop jeune. Cette vision d’une orientation dès 15 ans vers l’apprentissage est une vision archaïque, d’un autre siècle. Le champ des connaissances s’est élargie au fil des dernières décennies avec la complexification des technologies, avec la nécessité pour la plupart des salarié-e-s d’acquérir un certain niveau d’études. Les lycées professionnels malgré les difficultés qu’ils connaissent – inhérentes, en fait, aux politiques qui ont mis à mal le service public d’éducation – savent répondre aux besoins des élèves orientés vers la voie professionnelle. L’enseignement y conjugue à la fois enseignement professionnel, théorique et général. Il n’est donc pas acceptable aujourd’hui que l’apprentissage soit développé comme formation concurrentielle au service public d’éducation. C’est une logique mortifère qui nuira à la formation de tous les jeunes. Aussi, il n’est pas davantage acceptable d’imposer des classes d’apprentis au sein des établissements publics du second degré, et encore moins d’imposer des « classes mixtes » où sont « mélangés » apprentis et scolaires. Les attendus ne sont pas les mêmes pour les uns et les autres, les statuts sont différents, les niveaux d’apprentissage et les exigences également. D’un point de vue pédagogique c’est un non-sens total !

Que doivent exiger les élu-e-s que nous sommes ?

Pour finir, il nous faut nous exprimer clairement sur une orientation pour l’apprentissage en tenant compte de toutes les données du problème. L’apprentissage mérite d’être développé au sein d’un vrai service public : les Régions doivent piloter, contrôler et évaluer du début à la fin les politiques mises en œuvre. Ce qui signifie, au préalable, que les Régions auront à cœur d’établir un vrai bilan de l’apprentissage afin de déterminer quelles politiques sont les mieux à même de faire réussir nos jeunes dans leurs formations professionnelles : accompagnement individualisé en amont pour se déterminer dans son choix, accompagnement en aval une fois le jeune installé dans sa formation, mise en place des médiations pour aider aussitôt un jeune s’il y a rupture de contrat etc… Maintien et développement des formations en lycées professionnels publics dans le but de maintenir le plus longtemps les élèves sous statut scolaire.

L’apprentissage et le lycée professionnel ne doivent pas être mis en concurrence mais au contraire doivent être envisagés comme complémentaires.

Pour terminer, dans tous les cas, lycées ou CFA, les offres de formations doivent être établies avec la volonté de répondre aux besoins de demain, en se tournant vers des métiers qui pourront répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.

Myriam Martin, le 10 avril 2016

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