Qui veut laisser béton la loi littoral ?



Texte texte majeur né d’une volonté de protéger les
côtes françaises, la loi littoral est remise en cause… au nom d’une
décentralisation qui conduirait à un affaiblissement de l’intérêt public face
aux convoitises des promoteurs
.




QUI VEUT LAISSER BÉTON
LA LOI LITTORAL ?

Texte
texte majeur né d’une volonté de protéger les côtes françaises, la loi littoral
est remise en cause… au nom d’une décentralisation qui conduirait à un
affaiblissement de l’intérêt public face aux convoitises des promoteurs.

cathvueduciel.jpgContrôler
l’urbanisation des côtes françaises et préserver la diversité géographique,
géologique ainsi que la faune et la flore, tout en permettant le développement
économique et touristique, tel est la mission contradictoire de cette loi
adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1986… et aujourd’hui
menacée par les propositions de deux sénateurs dans un rapport
intitulé « Plaidoyer pour
une décentralisation de la loi littoral
« .

Une
situation dégradée

portcam.jpgAvec
un sens indéniable de la litote, le rapport précise, « La loi
Littoral a incontestablement et heureusement freiné le « bétonnage »
de nos côtes ». En réalité, loin d’empêcher les constructions, les mesures
de protection des milieux naturels n’ont permis, au mieux, que de ralentir
l’expansion de l’urbanisation et de la fragmentation écologique du territoire.
La carte réalisée par l’Observatoire national de la mer et du littoral (ONML)
sur le niveau de construction des communes et départements littoraux entre 1990
et 2010 démontre l’ampleur des dégâts. Au cours de cette période, ces
zones correspondant à 4% du territoire ont représenté 11,7% de la construction
de logements en France Métropolitaine.

La
principale proposition de ce rapport consiste à « décentraliser
l’interprétation et l’application de la loi Littoral ». En clair, il
s’agit de dessaisir les services de l’État et de « créer un
dispositif optionnel de chartes régionales d’aménagement du littoral (CRAL),
avec force prescriptive, permettant de confier l’interprétation de la loi
Littoral aux élus locaux ». Pourtant, le même rapport reconnaît du bout
des lèvres que les collectivités locales n’ont pas toujours joué le
jeu : « Certaines se sont au contraire empressées, au début des
années 1990, d’adopter des plans d’occupation des sols (POS) illégaux et mal
contrôlés, pour figer les droits de constructibilité ». Selon la bonne
vieille politique du fait accompli, une fois les constructions achevées, il
devient très difficile de revenir en arrière. Si, en plus, il faut faire face à
des électeurs, cela devient mission impossible.

Le
développement économique quoi qu’il arrive

littcarares.jpgPourtant,
les vingt-neuf morts de la tempête Xynthia en 2010 devraient susciter la plus
grande prudence. Ceux-ci ne relevaient pas seulement d’une météo
déchaînée : le renvoi du maire de la Faute-sur-Mer au tribunal
correctionnel pour homicides involontaires en raison des irrégularités dans
l’octroi des permis de construire est là pour le rappeler. Augmenter le pouvoir
des édiles locaux ne pourra que renforcer les constructions anarchiques. Face
aux appétits des promoteurs, aux pratiques de corruption qui existent dans ce
secteur et aux masses financières qui sont en jeu, les collectivités
territoriales n’ont guère les moyens de résister.

Mais
pour les deux auteurs du rapport, la socialiste Odette Herviaux et l’UMP Jean
Bizet, les adversaires sont ailleurs. Il s’agit d’abord d’associations qui
pratiquent « des recours abusifs ». Ceux-ci nourrissent des
contentieux qui ont des« conséquences dramatiques pour les particuliers,
du gel des investissements ou du poids des actions en responsabilité pour les
budgets des petites communes littorales ». Il s’agit ensuite du juge administratif
qui, le malheureux, fait « presque systématiquement prévaloir une
protection conservatrice de l’environnement sur toute autre
considération ». C’est enfin l’administration qui « ne fait
fondamentalement pas confiance aux élus locaux pour l’exercice de leur compétence
d’urbanisme sur le littoral » et qui s’attribue
une « lecture restrictive » de la loi.

Libre
interprétation locale

Le
rapport note toutefois une évolution « positive » de cette
administration par trop tatillonne : « Le climat s’est un peu
apaisé depuis le milieu des années 2000. L’administration fait preuve d’une
attitude plus constructive ». Si l’on comprend bien, la droite conquérante
sous Chirac et Sarkozy a su peu à peu imposer à des services de l’État un peu
rétifs que « quand le bâtiment va, tout va ». Pas sûr que cette
évolution soit très rassurante, pas plus que la co-rédaction PS-UMP de ce
rapport.

Les
propositions de la commission sénatoriale sont en effet extrêmement
inquiétantes. Sous couvert de décentralisation, c’est bien l’abandon de la loi
littoral qui est en jeu. Saper les prérogatives de l’État est un mécanisme bien
rodé, qui s’opère par un double mouvement : par le haut avec l’Europe, par
le bas avec la décentralisation. Il ne s’agit pas ici de défendre les bienfaits
imaginaires d’un quelconque Gosplan, et l’administration française n’a jamais
brillé par ses qualités de concertation. Mais ce qui est proposé là, c’est la
libre interprétation locale, sans cadre législatif national contraignant, au
plus près des intérêts locaux et des clientèles. Simple ballon d’essai ou
volonté d’agir vite, la question se pose.

Face
à la crise, les solutions purement économiques au détriment de toute autre
considération peuvent l’emporter. L’espoir réside ailleurs. Une enquête,
réalisée en 2007, indiquait l’attachement des français à cette loi : 94%
étaient ainsi favorables au principe d’une loi régissant spécialement le
littoral. La vigilance et les mobilisations citoyennes s’imposent.

Guillaume Liégard, publié sur
le site de Regards.

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