Le pourtour méditerranéen est très peuplé et est un pole touristique majeur. 70% des eaux usées seraient déversées sans aucun traitement dans la mer. Environ un tiers du trafic maritime du monde passe par la Méditerranée. Réchauffement climatique, acidification des eaux, modification des écosystèmes, aménagements littoraux… difficile d’établir les responsabilités tant les pressions sont nombreuses. Alors la fameuse « surpêche », qu’en est-il ?
QUI PEUT SAUVER LA MÉDITERRANÉE ET SES PÊCHEURS
article publié sur le site de Ensemble ! Gard.
Clément Calmettes, spécialiste pêche et environnement, ancien marin-pêcheur inaugure avec cet article, une nouvelle rubrique : « littoral, mer et pêche ». Dans cette première contribution, il plante le décor :
Nous qui allons à la mer, pour profiter de ses eaux chaudes, de ses charmants ports de pêche et de ses bon produits frais et sains, que savons-nous de son état de santé ? La mer et ses mythes évoluent et chacun d’entre nous a sa représentation de la mer, des pêcheurs et des poissons. Nous avons entendu crier au loup plus d’une fois, ou plutôt au thon, par exemple. Avant un tour d’horizon des acteurs et des solutions qu’ils envisagent, quelques éléments sur les pressions que subit Mare Nostrum :
Le pourtour méditerranéen est très peuplé : plus de 150 millions d’habitants sur ces rives auxquels il faut ajouter 200 millions de touristes. 70% des eaux usées seraient déversées sans aucun traitement dans la mer. Environ un tiers du trafic maritime du monde passe par la Méditerranée, mais les pollutions liées aux activités maritimes ne représenteraient que 20% du total contre 80% pour les pollutions d’origine terrestres. Réchauffement climatique, acidification des eaux, modification des écosystèmes, aménagements littoraux… difficile d’établir les responsabilités tant les pressions sont nombreuses. Alors la fameuse « surpêche », qu’en est-il ?
En premier lieu, il faut considérer la pêche pour ce qu’elle est : une exception. Les pêcheurs sont parmi les derniers chasseurs-cueilleurs. La révolution néolithique n’a pas touché tout le monde. La révolution industrielle et les innovations technologiques, par contre, ont bouleversé une bonne partie du secteur des pêches maritimes.
Donc le pêcheur prélève directement dans le milieu naturel. Dès lors qu’il y a exploitation d’une ressource, même renouvelable comme les poissons, la quantité présente dans le milieu diminue. La question de la surexploitation est plus complexe et engendre un grand nombre de querelles parmi les spécialistes. D’autant que l’évaluation des « stocks » de poissons dans la mer est un art extrêmement difficile.
Ainsi, les chiffres actuellement mis en avant de 96% des espèces surexploitées en Méditerranée reposent sur 69 stocks de 31 espèces différentes. Les chalutiers du golfe du Lion capturent environ 80 espèces différentes. Dans le même temps, les avis scientifiques sont formels, la quasi-disparition des sardines de taille commerciale dans le golfe du Lion est due à des bouleversements écologiques qui n’ont rien à voir avec la pêche (modification du plancton, pollution…)
La pêche en Méditerranée française c’est moins de 20 thoniers senneurs actifs, entre 50 et 60 chalutiers et plus de 1000 petits-métiers qui emploient environ 2500 marins-pêcheurs soit 12% des emplois de la pêche en France.
L’Europe se penche donc sur la pêche méditerranéenne car la politique commune des pêches s’est fixé comme objectif de mettre en place une pêche durable dans toutes eaux européennes. La lointaine Europe n’a pas bonne presse chez les marins-pêcheurs. En Méditerranée, l’outil principal de gestion des pêches a été la réduction de la flottille par les Plans de Sortie de Flotte (PSF). Avec ou sans aide, plus de 100 chalutiers ont été détruits dans en moins de 40 ans. Depuis des années, l’Europe lutte en effet contre sa surcapacité de pêche : le nombre et la puissance des navires ne peut que décroitre.
Les pêcheries méditerranéennes sont très difficiles à gérer pour l’Union Européenne en raison du très grand nombre de petits bateaux. Pour exemple, on trouve plus de 17 000 navires de pêches en Grèce pour une production de 83 000 tonnes, alors qu’au Danemark, moins de 3 000 bateaux capturent 778 000 tonnes de poissons. Les outils pour une pêche durable ne sont évidemment pas les mêmes selon les régions.
La gestion par quota, qui a été appliquée à bon nombre d’espèces sur les autres rivages de l’Europe, n’a pas été mise en place pour la Méditerranée, si ce n’est pour le thon. Cet outil consiste à déterminer la quantité que l’on peut pêcher d’une espèce. Il n’est pas adapté dans tous les cas, mais permet un contrôle précis, d’autant plus que, depuis janvier 2016, les rejets en mer de poissons hors-quotas ou sous-taille sont interdits. En Méditerranée, l’instauration de quotas, de contrôles drastiques (un observateur sur chaque thonier-senneur) et la restriction de la période de pêche (1 mois/an) ont engendré en quelques années une nette augmentation de la population de thon rouge. Ces mesures ont, dans un premier temps, engendré de nombreuses destructions d’emploi (près d’un marin sur deux dans les armements thoniers) mais désormais les quotas augmentent à nouveau et la pêcherie semble mieux gérée. C’est désormais la répartition du quota de pêche alloué à la France qui fait débat dans la profession car l’amélioration du stock profite essentiellement aux plus grosses entreprises de la pêche méditerranéenne.
De nombreuses mesures techniques ont également été prises, qui tardent en général à s’appliquer à la Méditerranée. Les chalutiers utilisent des mailles bien plus petites que leurs homologues de l’Antlantique et capturent de très grande quantité de poissons immatures. Par ailleurs, l’interdiction des filets maillants dérivant a mis plusieurs années à être effective en Méditerranée. Interdite en raison de rares captures accidentelles de cétacés, la thonaille (un filet maillant dérivant) faisait vivre plusieurs centaines de pêcheurs de Port-Vendres à Menton et en Corse. Les organisations qui avaient milité contre cette fameuse thonaille cherche désormais à soutenir les petits pêcheurs qui en vivaient.
En effet, ce sont les ONG environnementalistes qui ont porté sur le devant de la scène médiatique les questions de surpêche. Cette implication des citoyens dans la protection de l’environnement marin est essentielle et souvent efficace. La complexité de la question halieutique, cependant, ne correspond pas toujours au message médiatique. Comment expliquer, par exemple, que le thon rouge pêché par les petits métiers à l’hameçon et commercialisé en circuit relativement court sur les marchés locaux correspond à une pêcherie exemplaire tout en appelant au boycott de la pêche des thoniers senneurs quasi industriels, alors même que leur production n’est pas commercialisée en Europe mais en Asie ? Comment sensibiliser au fait que l’élevage de poissons en mer engendre un accaparement des ressources en poisson à l’autre bout du monde (fabrication de farines de poisson) ? Les débats sont vifs sur la question des subventions, par exemple, ou sur la définition même de la pêche artisanale. Les conflits parfois violents entre pêcheurs et écologistes dans les dernières décennies ont provoqué un divorce difficile à réparer.
Pourtant, des combats comme celui contre les boues rouge de l’usine de Gardanne (Bouches-du-Rhône) unissent des pêcheurs et des écologistes. En effet, les pêcheurs sont les premiers concernés par les problèmes environnementaux. Ils voient depuis des décennies les ressources qui diminuent, les heures de travail en plus, les investissements matériels en plus, les pollutions et les modifications du milieu. Manque de volonté, solidarité maritime parfois mal placée, conditions de travail éprouvantes et difficulté d’accès aux medias les ont généralement laissés en dehors du débat. Pourtant, ce sont eux qui détiennent la clé du changement notamment par leurs organisations traditionnelles en Méditerranée : les prud’homies. Elles regroupent tous les patrons-pêcheurs d’un territoire et possèdent de véritables compétences, y compris des pouvoirs de police. Cette exception au droit français soulève de plus en plus l’intérêt dans le cadre des études sur « les communs ».
La gestion des ressources marines est un enjeu important où les conflits et les intérêts contraires sont nombreux. La question de la répartition des droits à produire (licence de pêche, quotas, etc.) est de plus en plus prégnante dans un contexte de raréfaction de la ressource. Les pressions écologiques sur la mer Méditerranée sont énormes et les pêcheurs en sont au moins autant les victimes que les responsables. Leur espace est de plus en plus convoité : oléoducs, câbles, éoliennes, plateformes pétrolière, plongée, plaisance, baignade, etc. sont autant d’usages apparus au cours du dernier siècle et qui peuvent entrer en concurrence avec la pêche. Cette dernière est non seulement une activité nourricière qui peut garantir une alimentation de proximité et de qualité, mais elle correspond aussi à des métiers, des savoir-faire, des sociétés littorales spécifiques. Ainsi se pencher sur les écosystèmes marins et les populations de poissons ne peut pas rester une affaire d’expert en biostatistiques et dynamique des populations halieutiques.
Clément CALMETTES