Les
deux quotidiens locaux Midi Libre et l’Hérault du jour, sont en crise sérieuse.
Les deux sont en situation de rachat et nous savons fort bien ce que cela
signifie dans le monde capitaliste actuel. Il ne s’agit pas pour nous de
manifester notre accord avec une ligne éditoriale mais plutôt de faire le point
sur la situation de crise grave de la presse écrite aujourd’hui.
Pour
faire le point, nous avons interrogé :
Guy
Trubuil , journaliste au Midi libre, élu SNJ au Comité d’entreprise
Remy
Cougnenc journaliste à l’Hérault du Jour
Propos
recueillis par Francis Viguié
Les
quotidiens se vendent moins, triste constat. De ce fait, ils dépendent
énormément des collectivités territoriales (via les annonces) et des aides de
l’état. Ces aides, ces annonces légales ou de communication ne facilitent pas
l’indépendance de la presse à laquelle nous sommes attaché-es. Mais nous sommes
aussi attaché-es au pluralisme de l’information. Les puissants de ce monde ont
bien compris que la presse avait un rôle primordial de faiseur d’opinion, elle
donc un lieu d’investissement capitalistique pour maîtriser l’information.
L’avenir
des journalistes et salarié-es de Midi Libre et de l’Hérault du Jour ne nous
est pas indifférent, tout comme savoir ce que vont devenir ces quotidiens qui
ont aujourd’hui une place déterminante dans l’information locale et
l’information locale est nécessaire. Sans attendre, nous nous affirmons
solidaires des salarié-es et journalistes contre tout plan de pseudo départs volontaires ou pire de
licenciements.
GUY TRUBUIL journaliste au Midi Libre
Auparavant,
à propos de votre chapeau, je tiens à préciser que si les collectivités
territoriales constituent des annonceurs importants, nous ne sommes pas en
situation de dépendance vis à vis de celles-ci. En effet, les ventes de Midi
Libre (aux lecteurs donc) représentent un peu plus de 60 % de notre chiffre
d’affaires et la publicité (dont celles des collectivités) 40 %. Parmi ces
publicités, les annonces légales… sont donc légales car elles constituent une
garantie de transparence. Sinon oui, les aides de l’Etat (aides au portage
notamment) constituent une aide importante mais dans une moindre mesure que pour
la presse quotidienne nationale. Les tableaux récapitulatifs de ces aides sont
publiques et consultables aisément sur internet
Midi Libre est
aujourd’hui en sérieuse difficulté et se trouve racheté par le groupe La
Dépêche du Midi de Baylet. Midi Libre a une longue histoire, une assise
importante dans notre région, comment peut-on expliquer qu’il se retrouve en
situation de rachat par un autre groupe de presse ?
A
ce jour Midi Libre n’a pas été encore racheté par la Dépêche du Midi mais on
peut dire que les discussions avancent et qu’une prise de contrôle est
envisagée pour le 1er mai prochain. Il
faut savoir que voilà bien longtemps que le groupe Midi Libre -qui comprend
Centre-Presse à Rodez, l’Indépendant à Perpignan et donc Midi Libre- n’est plus
autonome. C’est d’abord le groupe Le Monde qui en a pris le contrôle auprès des
actionnaires historique en 2001. Le groupe Midi Libre appartient, depuis 2008
au groupe Sud Ouest (Bordeaux) qui en détient, 94 % des actions. Si Sud Ouest
souhaite aujourd’hui vendre Midi Libre c’est notamment pour honorer un certain
nombre de dettes dont la plus importante a été contractée pour le rachat du
groupe Midi Libre à une époque où l’activité de presse était autrement
valorisée qu’aujourd’hui.
Pouvez-vous nous
donner des éléments du plan de rachat de La Dépêche ? Quelles conséquences
pour les journalistes, pour les salariés ? A quelles autres conséquences
sur le quotidien lui même peut-on s’attendre ?
Le
plan précis de la Dépêche n’est, pour l’instant, pas connu avec précision mais
il est de notoriété que le rapprochement des deux groupes engendrera un certain
nombre d’économies liées à une mutualisation de certains services (pas
forcément éditoriaux) . Aujourd’hui, les journaux sont confrontés à une
perte de chiffre d’affaires liée à la baisse de leur diffusion papier et,
surtout, à la forte diminution des recettes publicitaires provoquées par la
crise économique. Face à cela, le levier principal qui permet de maintenir
l’équilibre de l’activité est d’agir sur les charges et donc sur la masse
salariale qui en constitue la plus grosse partie. Jusqu’à présent, la diffusion
numérique payante n’a pas permis de prendre le relais et de compenser la baisse
de la diffusion papier. Paradoxalement, avec la gratuité, les informations
n’ont jamais été aussi diffusées qu’aujourd’hui !
Comment réagissent
les organisations syndicales et le personnel ? Va-t-on vers une situation
conflictuelle ?
C’est
encore trop tôt pour le dire. Pour l’instant nous en sommes encore au stade de
la collecte d’informations et de la prise de connaissance des intentions de
l’acheteur. Une inquiétude existe évidemment. Face à la volonté de réduire la
masse salariale, les solutions sont évidemment de privilégier les méthodes de
départ douces. Dans ce cadre les journalistes demeurent privilégiés car ils
bénéficient de la clause de cession, un régime avantageux pour négocier leur
départ. Cela dit pour le syndicat que je représente l’inquiétude est de voir la
rédaction des trois titres du groupe se réduire progressivement au point de ne
plus pouvoir assurer correctement la collecte et le traitement de
l’information.
Remy
COUGNENC journaliste à l’Hérault du Jour
-
L’Hérault du Jour est
aujourd’hui en sérieuse difficulté et se trouve confronté aux offres de rachat.
L’Hérault du Jour a une longue histoire, une assise importante dans notre
région, comment peut-on expliquer qu’il se retrouve en situation de
rachat ?La situation difficile que connait le
quotidien L’Hérault du Jour / La Marseillaise s’inscrit d’abord dans un
contexte national (et au-delà) de crise de la presse. Ces dernières années, le
phénomène de l’érosion du lectorat s’est accéléré. Aujourd’hui, TOUS les
quotidiens régionaux ou nationaux de France perdent des lecteurs. Les causes
sont multiples et complexes : explosion d’internet (sites, blogs…),
concurrence des journaux gratuits, vieillissement du lectorat, changement des
habitudes de lecture…D’autre part, L’Hérault du Jour – La
Marseillaise, est le seul journal français de presse quotidienne régionale
indépendant des grands groupes de presse (nous n’avons pas d’actionnaires).
Cette indépendance a un coût : nos moyens financiers sont plus précaires.Enfin, ces derniers mois, l’érosion du
lectorat combiné à la perte de recettes publicitaires (annonceurs privés, des
collectivités et annonces légales) a créé un déficit. -
Pouvez-vous
nous donner des éléments du plan de rachat de L’Hérault du Jour? Quelles
conséquences pour les journalistes, pour les salariés ? A quelles autres
conséquences sur le quotidien lui même peut-on s’attendre ? -
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La société SEILPCA (L’Hérault du Jour – La
Marseillaise), en état de cessation de paiement, a été placée en redressement
judiciaire en novembre 2014. Deux offres de reprise ont été déposées
depuis : l’une par Les Editions des Fédérés. L’autre par Les Nouvelles
Editions Marseillaises. La première semble beaucoup plus solide financièrement
et plus en accord avec notre ligne éditoriale actuelle. Elle a d’ailleurs
obtenu le soutien des syndicats.L’audience pour la survie du titre a lieu ce
mardi 7 avril devant le Tribunal de commerce de Marseille. Il n’y a que deux
possibilités. Soit l’une des deux offres sera jugée satisfaisante et la reprise
sera actée avec le repreneur. Dans ce cas, nous savons déjà qu’il y a aura de
nombreux licenciements parmi les 208 salariés (rédaction, administration, ventes,
publicité, abonnements…). Mais il s’agit du meilleur cas de figure.Soit la liquidation pure et simple sera
prononcée, ce qui serait une catastrophe pour les 208 salariés. Mais aussi pour
le pluralisme de la presse. -
Comment réagissent
les organisations syndicales et le personnel ? Va-t-on vers une situation
conflictuelle ?L’annonce
du placement en redressement judiciaire a été un coup de bambou derrière la
tête pour tous les salariés. La situation est difficile à vivre sur le plan
humain. Les inquiétudes sont grandes, des tensions existent. Mais la
mobilisation pour la survie du journal a été immense depuis plusieurs mois. Un
comité de soutien a immédiatement été créé, de nombreux dons ont été
recueillis. Il ne se passe pas un jour sans que des associations, des
syndicats, des lecteurs, des citoyens nous témoignent leur total soutien.
Plusieurs concerts solidaires ont été organisés (à Marseille, Sète, Béziers…)
avec un grand succès.Plus
récemment, les parlementaires des 6 départements de la zone de diffusion du
journal (Hérault, Gard, Vaucluse, Alpes de Haute-Provence, Var,
Bouches-du-Rhône) ont co-écrit un courrier au gouvernement pour l’alerter sur
la gravité de la situation.La
Marseillaise a été fondée sous l’Occupation, dans la clandestinité, le 1er
décembre 1943. Depuis 70 ans elle défend des valeurs de progrès social et
d’humanisme contre tous les obscurantismes et les puissances de l’argent. Sa
disparition serait un énorme gâchis, une immense perte. Nous ne pouvons nous
résoudre à l’envisager.Pour
infos et soutien :http://pourquevivelamarseillaise.blogspot.fr/