Qu’est il arrivé à José Bové ?

Comme les années 2000 semblent loin, lorsque nous soutenions le syndicaliste paysan engeolé à Villeneuve Lès Maguelone suite au démontage du Mac Do de Millau. Celui qui fut ensuite un des porte paroles du Non de Gauche en 2005, est aujourd’hui député sortant d’EELV et candidat à sa réélection. Le discours a bien changé : acceptation du libéralisme et obscurantisme sur une question comme la PMA. 



Pour beaucoup, José Bové
est ce syndicaliste paysan qui démontait des restaurants McDonald avant de
devenir député européen et de se convertir au libéralisme économique. Or, la tête
de liste EELV aux élections européennes symbolise aujourd’hui non pas une, mais
deux graves dérives de l’écologie. Les récentes déclarations de José Bové et de
Noël Mamère témoignent de la résurgence d’une forme de pensée religieuse dans
laquelle la Nature ou la Vie ont remplacé Dieu.

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Dans le journal catholique La
Vie, l’ancien rédacteur
en chef deTémoignage Chrétien demandait
 : « Qui est
vraiment surpris de la position (critique) de José Bové sur la PMA exprimée le
2 mai dans l’émission « Face aux chrétiens » ? Sans doute
ceux qui ne se sont jamais intéressés à ses idées ». De fait, José Bové
avait déjà fait preuve d’obscurantisme par le passé. Aujourd’hui, ce n’est pas
tant sa « position », c’est-à-dire son opposition à la PMA (Procréation
Médicalement Assistée), que son argumentation qui est inquiétante. Avant d’analyser
celle-ci, revenons sur le parcours récent de José Bové et sur les ambiguïtés d’Europe-Ecologie
au sujet du libéralisme économique.

La conversion au libéralisme
économique

En matière économique et
sociale, la métamorphose de José Bové est relativement récente. En 2005, il
faisait campagne pour le non à la Constitution européenne et prétendait œuvrer à
l’union des forces antilibérales. En 2009, il était élu député européen, à l’issue
d’une campagne au cours de laquelle il affirmait encore
que « le modèle libéral […] ne répond pas à la crise » et
que  « l’écologie n’est pas compatible avec le capitalisme ».
Les positions de José Bové semblaient donc très éloignées de celles de Dany
Cohn-Bendit. Celui-ci incarne la sensibilité libérale au sein des Verts ;
il expliquait en 1998 dans son ouvrage Une envie de Politique : « Je
suis pour le capitalisme et l’économie de marché » (p. 65).

S’il est difficile de
dater précisément sa conversion, force est de constater qu’en septembre 2012,
José Bové signait – avec quatre autres députés européens EELV – une tribune appelant
la France à ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance (TSCG) afin que « la dynamique amorcée par le président
de la République s’amplifie et débouche sur un nouveau compromis ». En réalité,
il était déjà évident qu’aucune dynamique n’avait été amorcée et qu’aucun
compromis ne verrait le jour : François Hollande avait promis de renégocier
le TSCG mais n’en avait pas modifié une virgule ; et la poursuite de la
politique d’austérité avait été annoncée à la fin de mois de juin 2012. Il était alors
hautement prévisible
 que « le soutien populaire risque de
rapidement faire défaut au pouvoir en place ».

C’est pourtant sur la base
de tels mensonges que les quatre députés européens EELV défendaient le TSCG.
Que celui-ci fasse de l’austérité une règle d’or et qu’il accorde davantage de
pouvoir à la Commission européenne ne semblait pas les émouvoir. Pourtant,
comme l’expliquaient alors les Economistes Atterrésdans un
communiqué
, « l’objectif du Traité est bien de réaliser le rêve
de toujours des libéraux : paralyser les politiques budgétaires, imposer
coûte que coûte l’équilibre budgétaire. Il tourne le dos aux enseignements de
75 ans de théorie macroéconomique ».

Aveuglés par leur
optimisme, José Bové et ses collègues prétendaient même que François Hollande
avait« modifié la donne européenne » en « impulsant une stratégie
de relance ». Cela n’a été fait ni à l’époque ni par la suite !
Hollande a d’abord baptisé « pacte de croissance » la simple réaffectation
de fonds structurels déjà programmés, avant d’expliquer attendre les élections
fédérales allemandes de septembre 2013 pour aller plus loin. Depuis, aucune
initiative française n’a été prise pour essayer de réorienter les politiques économiques.
En novembre 2013, l’Union Européenne a même adopté le premier budget en baisse
de son histoire ! Daniel
Cohn-Bendit a bien résumé les choses 
: « Nous faisons
l’austérité, nous continuons d’emmener les citoyens dans le mur ». Mais où
sont donc passés « la dynamique » et le « compromis » ?

L’ambiguïté d’Europe-Ecologie

La direction d’EELV a
finalement choisi de voter, au Parlement français, contre la ratification du
TSCG. Cette heureuse décision déboucha cependant sur un positionnement
hypocrite puisque les députés EELV votèrent en faveur de la loi
traduisant en droit français les obligations liées à la ratification du TSCG
 !
Bien sûr,comme l’explique
la députée européenne écologiste Sandrine Bélier
 : « On
ne peut pas refuser le TSCG parce que c’est l’austérité européenne, et accepter
la loi organique sur la règle d’or […] parce que c’est l’austérité française ».
C’est pourtant ce que firent les parlementaires EELV.

Il est intéressant d’observer la façon dont
José Bové les appelle à sortir de leur ambiguïté
 en assumant des
positions libérales qui leur donneraient davantage de crédibilité auprès des
classes dominantes : « les Verts se trompent de bataille et se
mettent en dehors de l’histoire. Depuis le début de la crise financière, un
nouvel horizon politique s’est ouvert et ce qui paraissait impossible est
devenu possible ». En effet… la crise a permis aux classes dirigeantes de
radicaliser leurs attaques et ce qui paraissait impossible est devenu possible :
effondrement du système de santé en Grèce, explosion du taux de chômage en
Espagne, baisse du pouvoir d’achat en France, etc. Or, le TSCG est une pièce
essentielle du dispositif organisant l’austérité. Comme l’ont expliqué
plusieurs économistes
, « le traité organise de fait la garantie
par les États des grands patrimoines financiers privés ».

Bové et Cohn-Bendit

José Bové résumait
récemment son volte-face 
:« En 2005, j’étais le meilleur
ennemi de Cohn-Bendit, aujourd’hui, je suis son meilleur ami ». De son côté, Daniel
Cohn-Bendit explique avoir « toujours été hostile aux horaires
obligatoires d’ouverture des magasins ». Il considère que les « boulots
précaires […] correspondent aussi aux besoins des jeunes, étudiants ou non, qui
n’ont pas encore décidé ce qu’ils veulent faire dans la vie ». Chantre de
la flexibilité et des délocalisations, grand adversaire du droit du travail,
Cohn-Bendit a fort logiquement théorisé la nécessité des alliances à droite. C’est
ce qu’il appelle la « transversalité ». On a vu que pour Bové, les
Verts se mettent « en dehors de l’histoire » mais pour Cohn-Bendit « les
Verdi [écologistes italiens] ont un train de retard parce qu’ils ont peur d’être
aspiré par Berlusconi. Il faut se risquer, se mélanger, on ne peut pas rester
toujours seulement du même côté » (Corriere della Sera, 21/04/09).

Cette théorie a fait des émules
aux élections municipales de 2014. A Villejuif, l’écologiste Alain Lipietz se
situe dans la majorité municipale de Franck Le Bohellec, maire UMP qu’il a
contribué à faire élire. L’écologiste Nathalie Gandais est même devenue 1ere
adjointe au maire ! Ils ont été suspendus d’Europe-Ecologie, puisréintégrés avant qu’une nouvelle procédure
de suspension ne soit lancée
. Visiblement, la « transversalité »
pose des problèmes complexes…

Contre toute manipulation
sur le vivant ?

Si on ne peut que déplorer
l’escroquerie consistant à faire la promotion du TSCG tout en promettant l’Europe
sociale, il y a plus grave. Le 1er mai 2014, José Bové a déclaré à la
chaine catholique KTO : « Je suis contre toute manipulation sur le
vivant, que ce soit pour des couples homosexuels ou des couples hétérosexuels ».
Il faut bien lire « toute manipulation ». Quelle qu’elle soit. José
Bové s’est justifié en affirmant que « la réflexion par rapport à ça ne
peut pas se couper en tranches ». « A partir du moment où je conteste
les manipulations génétiques sur le végétal et sur l’animal, il serait curieux
que, sur l’humain, je ne sois pas dans la même cohérence ». Pourtant,
avoir des réponses différentes dans différents domaines n’est curieux que si l’on
conteste les manipulations en vertu de principes absolus, sacrés, et non pour
des raisons contingentes et sociales. Car pour juger d’une pratique, d’une loi
ou d’une institution, on peut évaluer les conséquences qu’elle tend à avoir
dans un contexte donné. Mais visiblement, ce n’est pas la méthode retenue par
José Bové.

Comme l’explique un excellent billet
publié dans Regards
, « la logique défendue par José Bové est
absolument folle, tant sa conception est extensive. Fort logiquement, il
devrait non seulement se battre contre toute forme de procréation assistée,
mais aussi demander l’interdiction de toutes les pilules contraceptives (œstro-progestative
ou micropilule) qui relèvent aussi d’une manipulation du vivant […] Appliquée
à l’agriculture, les préceptes du député écologiste ouvrent des perspectives
intéressantes. On ose espérer que la fertilisation (au moins bio) reste autorisée,
mais la bouture, bel exemple de manipulation du vivant, non ? Une certaine
écologie dans des rapports très particuliers à « la mère nature » est
devenue le creuset d’une idéologie réactionnaire ».

L’écologie obscurantiste

Jérôme Anciberro
explique dans le journal La Vie
 que José Bové « ne circonscrit
pas sa critique de la société technicienne à la question des OGM, du nucléaire
ou des ondes électromagnétiques mais ose l’étendre à d’autres sujets. Ce qui
est hardi ». Effectivement. Mais selon le journal catholique, l’extension
de cette critique est « une évidence pour qui se donne la peine de réfléchir
quelques minutes aux développements récents des biotechnologies et au monde
merveilleux qui nous est vendu ».

Or, la réflexion, pour peu
qu’on l’applique à l’histoire des sociétés et des techniques, montre au
contraire que cette pseudo-évidence repose sur la superstition. Comme l’explique
John Stuart Mill dans son magistral essai La Nature, publié à titre
posthume en 1874, « la conscience que tout ce que le genre humain fait
pour améliorer sa condition consiste dans une large mesure à critiquer la
Nature et à contrarier son ordre spontané, a de tout temps conduit à jeter au
premier abord une suspicion d’irréligiosité sur les tentatives nouvelles et inédites
d’amélioration du sort humain » (1874, p. 62, ed. La Découverte). Lorsque
José Bové laisse entendre qu’en manipulant le vivant, les humains jouent aux
apprentis-sorciers, il ne fait pas appel à notre raison mais à une émotion bien
particulière, la peur.

« Bien qu’il eût été
impossible de maintenir la vie, et plus encore de la rendre agréable, sans
recourir perpétuellement à de telles ingérences, il ne fait pas de doute que
chaque nouvelle intervention humaine était entreprise en tremblant de peur,
jusqu’à ce que l’expérience ait enseigné qu’on pouvait s’aventurer sur ce
terrain sans encourir la vengeance des dieux » (Mill 1874, p. 62).
Certains rétorqueront que José Bové ne se réfère pas à la religion et ne
mentionne pas les dieux ? « Aujourd’hui l’accusation d’avoir l’arrogance
de chercher à contrarier les desseins de la Providence conserve encore assez de
sa force originelle pour être avancée en complément d’autres objections quand
on veut trouver à redire à tout nouvel exercice de la prévoyance et de l’invention
humaines. Personne, bien sûr, ne soutient que le Créateur veut que l’ordre
spontané de la création ne subisse aucune altération, ni même qu’il ne soit
procédé à aucune innovation. Mais on croit encore vaguement que, bien qu’il
soit encore tout à fait approprié de contrôler tel ou tel phénomène naturel, le
plan général de la nature est un modèle que nous devons imiter […] qu’à
défaut de la totalité, quelques portions particulières de l’ordre spontané de
la nature (choisies en fonction des préférences subjectives de celui qui s’exprime)
sont en un certain sens des manifestations de la volonté du Créateur »
(ibid., p. 62-3).

C’est ce pense José Bové.
Et cette portion particulière de la nature dont il défend le caractère sacré en
affirmant qu’elle ne doit jamais être « manipulée » est le domaine du
« vivant ». L’ancien rédacteur de Témoignage Chrétien s’est réjoui
des idées avancées par José Bové et a déploré qu’elles
ne soient davantage diffusées dans les milieux écologistes : « cette
simple idée d’une continuité ou, à tout le moins, d’une homologie entre la manière
dont on manipule le vivant en général et le vivant humain en particulier, est
devenue aujourd’hui le point aveugle de l’écologie politique ».
Malheureusement, cette « simple idée » semble très en vogue. Le
soutien exprimé à José Bové par Noël Mamère et
par une partie de la gauche des Verts est très inquiétant.

Au nom de la « Terre
mère » ?

Pour Noel Mamère, José Bové
« s’en prend à un tabou dans l’écologie politique quant à la discussion
sur la modernité et le rapport à la vie et à l’humain ». Mais son texte mêle
deux idées. D’une part, il déplore l’absence « de réflexion de fond »
des écologistes et revendique le droit « de s’interroger » sur des
sujets tels que le clonage. Nul ne peut lui reprocher. Les sujets qu’il évoque
sont complexes et nécessitent d’être débattus. Mais d’autre part, Noel Mamère
engage ce débat en confortant et développant le mode d’argumentation utilisé
par José Bové. Il écrit en effet :

« La défense de la
vie ne peut pas être liée seulement à l’idéologie religieuse, notamment chrétienne,
mais à la représentation que se font les sociétés de l’être humain. Pour
les sociétés occidentales, la représentation de l’être humain comme un être qui
se situe à l’extérieur de la Nature et qui lui est étranger est considérée
comme allant de soi. Dans d’autres cultures, notamment dans les sociétés marquées
par le culte de la « Terre Mère », comme les sociétés indigènes, la
continuité entre la terre, l’air, l’eau et le corps humain considérés comme
indissociables, aboutit au refus de toute marchandisation et à un respect intégral
de toutes les formes de vie sur terre ».

On peut tout à fait
convenir que les êtres humains font partie de la nature. Le problème est que
cette remarque de Noël Mamère ne justifie ni le titre de son article (« PMA et GPA : pas vraiment écologistes »)
ni la condamnation de « toute manipulation sur le vivant ». Comme l’explique
John Stuart Mill avec une grande clarté :

« Le mot Nature a
deux sens principaux : il désigne soit le système entier des choses, avec
l’ensemble de leurs propriétés, soit les choses telles qu’elles seraient en l’absence
d’intervention humaine.

Dans le premier sens, la
doctrine selon laquelle l’homme doit suivre la nature est absurde, car l’homme
ne peut rien faire d’autre que suivre la nature, puisque toutes ses actions
reposent sur une ou plusieurs des lois physiques ou mentales de la nature, et
obéissent à ces lois.

Dans le second sens du
mot, la doctrine selon laquelle l’homme doit suivre la nature ou, en d’autres
termes, devrait prendre le cours spontané des choses pour modèle de ses actions
volontaire, est à la fois irrationnelle et immorale. Irrationnelle parce que
toute action humaine consiste à altérer le cours spontané de la nature, et
toute action utile à l’améliorer. Immorale, parce que le cours des phénomènes
naturels [est] rempli de tous les évènements qui, lorsqu’ils résultent de l’action
humaine, méritent le plus d’inspirer la répulsion » (Mill 1874, p. 97).

Quelle écologie politique ?

Pour Noel Mamère, « depuis
ses origines, ce débat occupe les pères de l’écologie politique. En France, dès
les années 30, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau mirent en garde les écologistes
sur cette question et irriguèrent l’écologie politique de leur critique si
fondamentale de la raison technicienne ». La tribune publiée par La
Vie cite également Ellul et Charbonneau…

John Stuart Mill est aussi
un père de l’écologie politique, puisqu’il dénonce dès 1848 les méfaits du
productivisme, affirme la primauté de la question de la répartition et espère
que l’humanité « se contentera de l’état stationnaire bien avant d’y être
contrainte par la nécessité ». Mais tout en affirmant que cet état sans
croissance est désirable parce que l’humanité pourrait « cultiver
librement les arts qui embellissent la vie », ce qui est désirable du
point de vue du bonheur du plus grand nombre, Mill critique de façon radicale
les « doctrines qui font de la Nature un critère du juste et de l’injuste,
du bien et du mal, ou qui d’une manière ou à un degré quelconque approuvent ou
jugent méritoires les actions qui suivent, imitent ou obéissent à la Nature ».
On ne peut que souhaiter à l’écologie et à l’éco-socialisme de s’en inspirer
pour se prémunir de toute dérive obscurantiste.

Philippe Légé. 

 

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