Face à une attaque d’ampleur contre les droits des salariés, une réunion unitaire est programmée à Montpellier le mercredi 07 janvier à 17h 45 (au local du PC, 47 bis av. de Lodève).
Ci-dessous une analyse détaillée du projet Macron, par notre camarade montpelliérain Richard Abauzit, ex Inspecteur du travail.
Projet Macron : en route pour l’esclavage ?
Un projet qui porte sur le droit du
travail, fait par un ministre de l’économie. Pour la méthode, c’est un retour
au milieu du XIXème siècle, avant qu’on invente un ministère du travail. Sur le
fond, cela risque d’être un retour au début du XIXème siècle si la modification
du code civil est maintenue.
Un projet dont le titre III, étonnamment intitulé
« TRAVAILLER » donne toute la mesure. On ne fera pas l’injure de penser qu’une
loi dite « Pour la croissance et l’activité » montre du doigt les
fainéants de chômeurs ou l’indolence des travailleurs dans un pays où leur
productivité est une des plus fortes du monde, mais on peut sans doute y voir
le vivre pour travailler opposé au travailler pour vivre.
Un tel projet ne doit pas seulement être analysé
pour ce qu’il est, il faut aussi le traduire avec nos mots, tant depuis une
trentaine d’années la syntaxe patronale a envahi lois, accords collectifs, médias
et hélas de plus en plus souvent contaminé le discours des « partenaires
sociaux ». Des licenciements pour motif économique aux plans de « sauvegarde de
l’emploi » en passant par les plans « sociaux », du chômage partiel à l’ «
activité partielle », de l’exploitation des travailleurs à la « compétitivité »,
des qualifications collectives aux « compétences » individuelles, du droit à la
formation à l’obligation de « formation tout au long de la vie », des contrats
de merde aux « contrats courts » ou « aidés », du revolver sur la tempe au «
dialogue social », il est difficile d’échapper complètement au lavage de
cerveau quotidien qui leur permet d’affirmer sans honte et sans grand risque d’être
vraiment contredit que ce qui est noir est blanc.
Reste enfin la tactique qui consiste à mettre en
avant, pour cacher le reste, ce qui fera discussion, en boucle, dans les médias
: le travail du dimanche. Qu’on limitera ensuite volontiers à la question du
nombre à la discrétion du maire (5 ou 12), ce qui permettra ensuite, en
fonction du rapport de forces à trouver un nombre (7, 9 ?) qui apparaîtra comme
un compromis et pourra laisser l’impression qu’il y a eu finalement beaucoup d’agitation
pour rien. D’où l’urgente nécessité de détailler ce « rien » :
1/ Code civil : le retour à 1804 et la
suppression du droit du travail
Le droit du travail repose sur la réalité de l’exploitation
des travailleurs qui, en langage juridique est nommée « subordination ». Le
salarié est aux ordres, soumis à son employeur pour son embauche, son contrat,
l’exécution de son contrat et son licenciement. L’exact contraire du droit
civil dans lequel les deux parties sont à égalité. Il a donc été ajouté dans le
code civil actuel que les contrats de travail étaient exclus de ce droit entre égaux,
le code du travail servant précisément à limiter pour partie l’arbitraire
patronal.
Le projet MACRON, sans qu’aucun média ne le soulève,
abroge l’alinéa qui, dans le code civil, exclut les contrats de travail. Ce n’est
ni plus ni moins que la suppression du droit du travail. Un retour à 1804, au
code Napoléon, et à la loi Le Chapelier : plus aucune entrave à la liberté d’exploiter.
Il suffira au patron, pour chaque litige, d’obtenir « l’accord » du salarié et
aucun juge, prud’homal ou non, ne pourra venir troubler cet « accord » au nom d’un
quelconque droit du travail. Travailler le dimanche, la nuit, 12h par jour, 60h
par semaine, pour un demi-SMIC…du moment que le salarié est « d’accord ».
À y regarder de près, cette incroyable tentative
du gouvernement et du MEDEF n’est pas si nouvelle : elle est ici et là inscrite
déjà dans de plus en plus nombreuses dispositions du droit du travail, qu’il s’agisse
d’ « accords collectifs » signés par des organisations syndicales et/ou de
lois : ainsi, dès décembre 1981, un accord collectif permettait de faire faire
12 h x 12 jours = 144 h à un salarié agricole avec son « accord », l’ANI du 11
janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 permettent de ne pas respecter le
plancher de 24 h avec l’ « accord » du salarié. Et, pour le travail du
dimanche, il serait, pour l’essentiel, réservé aux « volontaires ». Ce «
volontariat », dont Gérard Filoche ne cesse de répéter qu’il n’existe pas en
droit du travail, on en mesure toute l’irréalité quand l’ex-présidente du MEDEF
n’a pu trouver mieux que l’oxymore de « soumission volontaire ».
2/ Prud’hommes : la mise à mort
Le projet Macron est un nouvel arsenal pour
casser plus encore ce qui reste souvent le seul recours pour les salariés.
Les conseillers prud’homaux se voient soumis à
un contrôle plus fort, une vraie tutelle ; leurs conditions de travail ainsi
que le rapport de force pour les conseillers salariés sont dégradés ; se met en
place une justice expéditive et forfaitaire répondant ainsi aux demandes
constantes du MEDEF déjà avancées dans l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi qui
les ont consacrés :
– Extension du pouvoir des juges départiteurs,
qui pourront assister aux assemblées générales du conseil de prud’hommes,
pourront réunir son président et vice-président, et pourront remplacer le
conseil de prud’hommes en cas de problèmes de fonctionnement de celui-ci.
– Extension de la formation restreinte (2
conseillers au lieu de 4), sur demande du bureau de conciliation. Une nouvelle
procédure qui aura comme conséquence inéluctable un engorgement supplémentaire
et des jugements expéditifs encore plus défavorables aux salariés.
– Suppression possible de la case « bureau de
jugement » et renvoi au juge départiteur (« de droit » et sans possibilité de
recours) dans les trois cas suivants : si le bureau de jugement estime que la
formation restreinte décidée par le bureau de conciliation (« et d’orientation »)
ne s’imposait pas ; si le bureau de conciliation et d’orientation le décide
dans le cas où « toutes les parties le demandent » ou bien en cas de
partage du bureau de conciliation !
– Contrôle et organisation de la « démission »
des conseillers prud’homaux :
Un décret va désormais fixer un délai au-delà
duquel un conseiller prud’homme sera désormais considéré comme « démissionnaire
» s’il ne satisfait pas à une nouvelle « obligation de formation initiale
et continue. ».
– Une suspicion et un contrôle institutionnalisés
:
Un décret va établir un « recueil des
obligations déontologiques des conseillers prud’hommes ». Le projet Macron
donne une idée du contenu de ce recueil qui permettra toutes les mises à l’écart
de conseillers qui déplaisent : à l’ « indépendance » et à l’ « impartialité »,
auxquelles sont astreints tous les juges, pour les conseillers prud’hommes, se
rajoutent la « dignité », la « probité » et un comportement de nature « à prévenir
tout doute légitime à cet égard », l’abstention « de tout acte ou
comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent
leurs fonctions » et, last but not least, « Leur est interdite toute action
concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions »
– Des sanctions renforcées :
Les conseillers prud’hommes sont considérés par
la loi Macron comme des salariés soumis au pouvoir disciplinaire d’un employeur
: sont créées deux nouvelles sanctions, l’ « avertissement » (sans
recours possible car censé ne pas être une sanction) et le « blâme » ;
est également créé l’équivalent de la mise à pied à titre conservatoire. Quant
à la « déchéance » provisoire possible, elle est allongée (de 5 à 10 ans) et
une déchéance définitive est créée.
Une « commission nationale de discipline » est
créée.
– La représentation deviendrait obligatoire en
appel ! et les défenseurs syndicaux, déjà très peu nombreux, pourraient avec un
nouveau statut être introuvables aussi bien aux prud’hommes qu’en appel
Désormais les salariés devront soit prendre un
avocat, soit trouver un défenseur syndical dont le projet Macron prévoit un
contrôle de sa désignation et la possibilité de radiation administrative.
– Moins de juges pour juger et des juges « mieux
» choisis :
Le projet Macron innove en créant la notion de «
litiges sériels ». Sans recours possible, le premier président de la Cour d’appel
ou le président de la Cour de cassation pourra décider de faire juger plusieurs
affaires par un seul conseil de prud’hommes, qu’il choisira ! et ce conseil
pourra se dessaisir de lui-même ou « si toutes les parties le demandent » au
profit d’un juge départiteur lui-même désormais choisis parmi les juges du Tribunal de grande instance (TGI),
choisis eux-mêmes par le président du TGI « prioritairement en fonction de
leurs aptitudes et connaissances particulières ». Si avec ça, les patrons
ne gagnent pas à tous les coups…
– Un bonus, les avocats d’entreprise :
Ce cadeau anglo-saxon est une bonne nouvelle
pour les patrons qui pourront se payer ces DRH bis qui vont accroître l’inégalité
des salariés devant la justice. Même si, contrairement au projet initial, ils
ne plaident pas, comment ne pas voir le poids que pèseront ces salariés qui
devront leur emploi à leur capacité à conforter le pouvoir patronal, en leur évitant
des erreurs préjudiciables, en préparant au mieux pour les prud’hommes
arguments juridiques et fausses attestations de salariés mieux ficelées.
3/ Inspection du travail et sanction de la
délinquance patronale : toujours moins
L’inspection du travail a déjà vu son indépendance
foulée au pied par le décret Sapin de mars 2014.
Le projet d’ordonnance Macron en est la suite
que Sapin n’avait pas eu le temps de terminer.
Pour les sanctions, les patrons vont échapper et
aux juges et aux inspecteurs du travail : des amendes pénales vont être
transformées en amendes administratives et l’administratif ne sera plus l’inspecteur
du travail mais son supérieur hiérarchique au niveau régional, pas moins, le
Directeur Régional des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation et,
accessoirement du travail et de l’emploi (D.I.R.E.C.C.T.E) dont le seul intitulé
permet de mesurer le degré d’indépendance par rapport au patronat qui échappe
ainsi au procès-pénal et accède à tous les arrangements possibles entre amis.
Une mention spéciale pour les délits qui
concernent le droit syndical et les représentants du personnel : il est précisé
que la peine d’emprisonnement sera supprimée car « susceptible de dissuader les
sociétés étrangères d’investir dans les entreprises françaises… ».
Et pour les élections professionnelles, les
patrons vont échapper à l’inspection du travail : seront désormais transférées
aux juges les décisions sur la mise en place de délégués de personnel de site ;
les décisions sur le nombre et de la composition de collèges électoraux ainsi
que le nombre de sièges et leur répartition entre les collèges (en l’absence d’accord
électoral) ; les décisions de reconnaissance d’un « établissement distinct »
pour les élections de délégués du personnel ou de membres du comité d’établissement
; les décisions de dérogation aux conditions d’ancienneté pour les électeurs et
les éligibles aux élections de délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise.
4/ Médecine du travail : la mise à mort
L’étude d’impact du projet Macron donne à voir
les soubassements des changements législatifs envisagés : il y est expliqué
clairement que l’obligation légale de la visite d’embauche ne peut être effectuée
car il manque de médecins du travail et que « les employeurs sont donc dans une
situation d’insécurité juridique » car la Cour de cassation sanctionnerait «
lourdement » le non-respect de l’obligation de sécurité ; et la larme vient également
aux paupières, il est expliqué que les médecins du travail rédigent beaucoup
trop d’avis d’aptitude comportant des restrictions d’aptitude ou des aménagements
de poste, ce qui empêcheraient par ce biais tout licenciement ! (« Tant que l’avis
mentionne l’« aptitude », aucun licenciement ne peut être envisagé même si l’employeur
est dans l’incapacité de suivre les recommandations et propositions du médecin
du travail.”).
Les solutions envisagées sont donc : 1/ moins de
visites médicales et des visites faites par « d’autres professionnels » ; 2/
des avis d’aptitude faits par des « collaborateurs médecins » et un encadrement
voire une suppression des « réserves ».
Licencier plus et plus vite pour inaptitude, tel
est la sécurisation recherchée par le projet de loi.
5/ « Simplifications » pour les
entreprises : toujours plus
– Licenciements pour motif économique :
Grâce à la loi du 14 juin 2013, l’employeur
pouvait déjà, sur les quatre critères de choix des licencié(e)s, retenir
prioritairement le critère qu’il voulait, par exemple le critère arbitraire de
la « qualité professionnelle » au détriment des critères sociaux (charges de
famille, âge, handicap, ancienneté). Le projet MACRON permet à l’employeur de
moduler même les critères choisis en les fixant « à un niveau inférieur à
celui de l’entreprise ». En clair, pouvoir choisir de licencier qui on veut, où
on veut.
Le projet Macron simplifie les « petits
licenciements » (de 2 à 9 salariés) dans les entreprises de plus de 50 salariés.
Le projet Macron simplifie les efforts de
reclassement pour les grandes entreprises.
Le projet Macron simplifie beaucoup les
licenciements dans les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.
Le projet Macron simplifie beaucoup le
licenciement sans retour et sans indemnités des salariés pour lesquels le
tribunal administratif aurait annulé la décision de validation ou d’homologation .
– Travail clandestin (= travail « illégal »)
Sous couvert de « lutte contre la prestation de
service internationale illégale », le projet Macron organise au contraire le
laisser faire pour les infractions au détachement illégal de salariés : « délai
» pour se mettre en règle, « rapport administratif » de l’agent de contrôle à l’
« autorité administrative » (rebonjour le D.I.R.E.C.C.T.E) qui pourra « eu égard
à la répétition ou à la gravité des faits constatés » ( !) et par « décision
motivée », suspendre la prestation mais pour « une durée ne pouvant excéder un
mois ». Il est prévu que le patron pourra passer outre ( !), ne pas suspendre
son activité illégale, et qu’en ce cas, il s’exposera – on tremble – à une «
amende administrative » ( !) mais que le D.I.R.E.C.C.T.E n’infligera – on est
rassuré – qu’avec circonspection en tenant compte des « circonstances » et de
« la gravité du manquement » mais aussi du « comportement de son auteur » ainsi
que de « ses ressources et ses charges ».
– Travailleurs handicapés
Pour pouvoir se soustraire à l’obligation d’embaucher
des travailleurs handicapés, les employeurs pouvaient déjà passer des contrats à
des « entreprises adaptées », des « centres de distribution de travail à
domicile », des « établissements ou services d’aide par le travail. Le projet
de loi Macron voit plus loin : désormais, il suffira de faire appel : à des
personnes que l’employeur ne paiera pas et qu’il n’aura pas l’obligation d’embaucher
(« personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu
professionnel ») ou à des non salariés (« travailleurs indépendants
handicapés »).
– Consultations des institutions représentatives
du personnel
À la rubrique « Dialogue social », le projet
Macron a inscrit, sans rire, la possibilité pour les entreprises, conséquences
de l’ANI du 11 janvier 2013, de réduire désormais les consultations des
institutions représentatives du personnel, par exemple pour les licenciements
pour motif économique, à la fourniture au comité d’entreprise de la « base de
données unique » dont le contenu limitatif est fixé par décret.
6/ Travail le dimanche et la nuit :
toujours plus
On retrouve ici la suppression du droit du
travail avec la prétendue liberté du salarié « volontaire ».
Cette liberté dont profiteront toujours plus
essentiellement des femmes et des jeunes qui subissent déjà temps partiel et
horaires au sifflet, cette liberté va pouvoir s’exercer dans plus de zones et
pour plus de dimanches.
Ministres, préfets et maires vont pouvoir
accorder des dérogations au repos dominical :
1/ pour préjudice « au public » ou « au
fonctionnement de l’entreprise »
2/ dans des « zones touristiques internationales
» (Ministres)
3/ dans des « zones touristiques » (Préfets)
4/ dans des « zones commerciales » (Préfets)
5/ dans les établissements situés dans l’emprise
des gares elles-mêmes situées dans les trois zones précédentes (Ministres)
6/ dans les établissements de la commune dont le
maire pourra désormais autoriser l’ouverture pendant 12 dimanches et devra l’autoriser
au minimum pour 5 dimanches, une obligation nouvelle oubliée des médias (jusqu’ici
le maire peut autoriser le travail pour au maximum 5 dimanches, il n’y est pas
obligé)
Pour bénéficier de ces dérogations, il faut des
contreparties pour lesquelles le projet Macron renvoie au « dialogue social »
dont la musique immuable commence à être connue : soit on trouve des organisations
syndicales pour signer l’accord que l’employeur souhaite (« accord collectif ou
territorial ») soit, comme pour les plans de licenciement, l’employeur décide
seul (« décision unilatérale de l’employeur ») après un « référendum » dont le
résultat est connu d’avance. En ce cas, le doublement du salaire ne sera pas
une obligation pour les entreprises de moins de 20 salariés.
Et dans les « zones touristiques internationales
», la loi déciderait maintenant que, dans ces zones, la nuit commence après
24h, alors il y sera possible de travailler de nuit. On appréciera à sa juste
valeur la « contrainte » de l’employeur : il « veille » à ce que le salarié «
dispose d’un moyen de transport pour regagner son domicile »
Il est grand temps de veiller à ce que le projet
Macron regagne la nuit des rêves patronaux.
Richard Abauzit