Matthieu Brabant, responsable régional de la CGT éducation répond à nos questions sur les réformes introduisant notamment la sélection entre le lycée et l’université.
Pourquoi cette mobilisation Enseignement secondaire – enseignement supérieur contre la Plan Étudiant ?
Après s’être attaqué au code du travail, le gouvernement s’attaque à l’école et plus particulièrement au bac et à l’enseignement supérieur. L’éducation se voit porter la responsabilité du chômage. Pourtant c’est bien le patronat qui préfère courir derrière les profits en investissant dans la finance plutôt que d’investir pour nos emplois. Des 1 million d’emplois promis par le MEDEF en contrepartie de crédits d’impôt, nous n’avons vu qu’un pin’s sur la veste de Pierre Gattaz. Ce faux procès à l’éducation est le prétexte à l’individualisation et la casse des diplômes nationaux base des conventions collectives et des statuts. Il est utilisé pour réduire les attentes envers l’éducation aux besoins des entreprises.
L’élévation du niveau global de qualification est autant un enjeu de progrès social qu’une nécessité économique. Les gouvernements successifs n’ont pas financé la massification de l’enseignement supérieur à hauteur des besoins. Sur les dix dernières années seulement, le nombre d’étudiant.es a augmenté de 20% alors que le budget alloué n’a augmenté que de 10%. Pour 2018, la hausse du budget est de 0,75% en deçà de la hausse des prix attendus. Pas étonnant qu’aucune création de postes ne soit prévue. Devant ce constat, l’alternative politique est claire : soit investir pour se donner les moyens de la massification, soit sélectionner pour réduire le nombre d’étudiant.es !
À la suite de cette rentrée catastrophique dans les universités symbolisée par les refus d’affectations et le tirage au sort, le gouvernement a lancé des « concertations » éclaires pour réformer le premier cycle universitaire. L’objectif affiché par le gouvernement était de répondre à « l’échec en Licence ». Les étudiant.es issus des bacs pro sont régulièrement montrés du doigt, sans que soit remise en cause la réforme du bac pro en 3 ans. Le gouvernement veut instaurer des « contrats de réussite » que devront signer les étudiant.es (individualisant ainsi l’échec et culpabilisant chacun) et mettre en place des « prérequis ». L’objectif réel est d’instaurer une sélection à l’entrée en Licence, après que le gouvernement précédent l’a fait à l’entrée en Master.
De plus, le gouvernement communique sur son budget d’un milliard sur le quinquennat pour financer son « plan étudiants ». Sur ce milliard 500 millions avaient déjà été annoncés via le Plan d’Investissement attribués aux Universités sur appel à projet et donc sans rapport direct avec les besoins pédagogiques ou les difficultés de fonctionnement.
Au final, le plan prévoit la création de 32 000 nouvelles places pour tout le quinquennat dont 7 000 en BTS et l’embauche de 2 500 enseignant.es supplémentaires dans le Supérieur. Or le gouvernement prévoit 200 000 étudiante.es supplémentaires à la fin du quinquennat, un chiffre sous-estimé, on sait que dans la seule année 2017 près de 80 000 bachelier.es professionnels n’ont pas pu entrer dans le supérieur.
Sur le fond, donc le gouvernement déconnecte le problème de réussite étudiante et le manque de place, de la question des moyens. Or, le budget de l’Enseignement Supérieur est insuffisant et en baisse depuis 2008. Il n’a pas permis de faire face aux 180 000 étudiant.es supplémentaires arrivé.es entre 2009 et 2016. Le gouvernement cherche donc à faire porter aux étudiant.es la responsabilité de leur échec ou de leur réussite.
La vision gouvernementale de la « formation tout au long de la vie » est la même que celle du patronat : déréguler et individualiser, en cassant les cadres et repères collectifs. Le gouvernement souhaite généraliser les « blocs de compétences ».
En remplaçant la qualification par les compétences, c’est l’ensemble des outils qui font sens et permettent aux salarié.es de se reconnaître collectivement au sein d’un champ professionnel et d’un métier qui disparaissent. Cela remet en cause les contenus des diplômes, leur qualité et leur caractère national. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut comprendre la volonté de remettre en cause le Baccalauréat comme premier grade universitaire.
Pour remplacer les diplômes, le patronat veut imposer les certificats de qualification professionnelle et les blocs de compétences dont il définira lui-même les contenus.
Globalement, les récentes réformes de la formation professionnelle tout au long de la vie organisent la formation sous le seul angle de l’emploi, au prétexte que la formation permettrait de réduire le chômage. Or la formation ne crée pas l’emploi. L’objectif réel est de servir les seuls intérêts du patronat et de renvoyer l’individu la charge de son « employabilité ».
Quelle est la cohérence de ce projet de loi, de la réforme du BAC…?
A côté de la « sélection » que les IUT, BTS et CPGE continueront à opérer, les Universités pourront fixer des « attendus » qui leur permettront de trier les candidatures qui leur seront soumises. Désormais, les candidatures individuelles des lycéen.nes seront examinées aussi par les établissements pourtant décrits comme « non sélectifs ». Les notes et bulletins, les avis des conseils de classes seront pris en compte. Les universités pourront même demander des lettres de motivation ou des compte-rendus de projets associatifs, afin de déterminer si un.e lycéen.ne a le bon profil et les résultats pour intégrer telle ou telle formation. Par ailleurs le travail sur l’orientation ne se limite pas à la classe de terminale, pourtant depuis des années les moyens dédiés à l’orientation des collégien.nes baissent (manque chronique de personnes d’orientation, fermetures de CIO …). Une université pourra dire non à un.e lycéen.ne que s’il a atteint ses capacités d’accueil. Les filières « en tension » ne se résument pas au STAPS, au droit ou à la psycho souvent mis en avant, à cette rentrée elles regroupaient 169 filières. Les universités pourront aussi répondre « oui, si » et imposer le suivi en plus des modules de rattrapages (les modules en ligne, les Moocs sont fortement mis en avant) avec une éventuelle année de renforcement. Les risque est grand de voir apparaître des parcours à plusieurs vitesses jouissant d’une reconnaissance différenciée. Comment sans moyen supplémentaires demander aux universités de mettre en place des dispositifs de rattrapages ? Comment alourdir les cursus des étudiant.es les plus fragiles alors que plus de 50% d’entre eux travaillent pour financer leurs études ?
Le maître mot de cette réforme sera celui de « modularisation » : décomposer et recomposer les blocs de la licence permettrait de le faire à son rythme, en deux, trois ou quatre ans. A priori difficile d’être contre ! Sauf que cette volonté de modularisation est faite sans moyens. Pour faire des économies, les universités seront contraintes de regrouper dans des amphis des étudiant.es de plusieurs sections avec le même enseignant.e ou tableront sur l’utilisation de la formation en ligne (les fameux « Moocs »). Le résultat : les conditions d’apprentissage pour les jeunes et de travail pour les personnels seront encore plus dégradés ! Mais le principal intérêt pour le patronat est la casse du cadre national des diplômes. Les diplômes étant à la carte, les salaires le seront aussi ! C’est le pendant dans l’éducation du projet libéral d’individualisation des salarié.es et de remise en cause de la hiérarchie des normes.
Comme les attendus et les diplômes pourront varier selon les établissements, la carte de France deviendra un vaste outil de tri : qui sera admis à faire la licence d’une même discipline dans une « université de recherche », « une université d’excellence » ou dans un « collège universitaire » où la proportion d’enseignant.es chercheur.es sera réduite ? Toutes les universités ne seront pas pour tout le monde.
Cette « modularité » va se retrouver pour la réforme du bac. Déjà, aujourd’hui, avec les Contrôles en Cours de Formation (CCF) en lycée professionnel, le bac pro est un bac « attribué » par les équipes enseignantes, remettant en cause le caractère national du diplôme. Le gouvernement veut généraliser ces pratiques et introduire un « lycée modulaire » où les élèves piocheraient les « compétences qu’ils visent… Il s’agit de faire disparaitre le bac comme diplôme reconnu et premier grade universitaire.
Face à cette nouvelle utilisation de la stratégie du choc de Macron-Philippe, quel peut-être la réponse ?
Le slogan de l’intersyndicale pourrait se résumer à « Ni prérequis, ni sélection, des moyens pour la réussite de toutes et tous. »
Nous pensons donc qu’il ne suffit pas de s’opposer à Macron, mais il faut aussi construire un mouvement unitaire expliquant en quoi son projet est néfaste et que des solutions existent.
Un tel mouvement est forcément unitaire. Unitaire syndicalement mais aussi avec les élèves, les étudiant.es, les parents d’élèves et les citoyen.nes.
Il s’agit pour commencer d’expliquer (d’où la lettre aux parents et aux élèves*), d’organiser des réunions dans les lycées, puis de faire monter la pression.
Il n’y a pas de réponse toute faites. Les schémas « classiques » de mobilisations risquent d’être inefficaces. Nous devons aussi travailler ensemble, y compris avec les organisations politiques, pour trouver des réponses unitaires et efficaces.
*Voir la lettre de l’intersyndicale Enseignement Supérieur et recherche et Secondaire (CGT-FO-FSU-Solidaires-UNEF) de Montpellier en direction des lycéen-ne-s et leurs parents : Lettre-aux-lyceens-parents-BD.pdf
Le 1er février sera la journée nationale de grève et de mobilisation contre la sélection à l’université, le plan étudiant et la politique du gouvernement. A Montpellier les syndicats SUD Lycéen, SUD Éducation et Solidaires Étudiant·e·s appellent à une assemblée générale à 10h, amphi C à l’université Paul Valéry, puis manifestation à 13h de la faculté vers la place de la Comédie.
Vous pouvez lire et signer l’appel intersyndical-pétition