MONTPELLIER. Quatre-vingt squatteurs somaliens demandeurs d’asile menacés d’être expulsés

Depuis près d’un an, un bâtiment en plein centre-ville de Montpellier est squatté par près de 80 hommes, originaires de Somalie et d’Erythrée. Tous souhaitent obtenir le statut de réfugié, mais leur demande a été rejetée avant même d’être examinée. En plein imbroglio juridique, ces hommes sont aussi menacés d’être expulsés de « leur » maison, vouée à la destruction car elle se trouve sur un terrain où sera implanté un projet immobilier.  Un reportage d’Audrey Morel, journaliste




Depuis près d’un an, un bâtiment en plein centre-ville de
Montpellier est squatté par près de 80 hommes, originaires de Somalie et
d’Erythrée. Tous souhaitent obtenir le statut de réfugié, mais leur demande a
été rejetée avant même d’être examinée. En plein imbroglio juridique, ces
hommes sont aussi menacés d’être expulsés de « leur » maison, vouée à la
destruction car elle se trouve sur un terrain où sera implanté un projet
immobilier.

9 h 30, l’ancienne maison des syndicats de la SNCF de Montpellier,
rue Du Guesclin, commence à s’agiter. Le bâtiment de trois étages, situé en
contrebas de la ligne 1 du tram, entre la gare et Antigone, héberge depuis le
mois de novembre 2011 plus de 70 Somaliens et 10 Erythréens, qui y dorment sur
des matelas à même le sol. Ali, 27 ans, est l’un d’entre eux. Ce matin de fin
juin, comme chaque jour, il est allé petit- déjeuner à la Halte Solidarité, une
structure d’accueil de jour située Quai du Verdanson, à un quart d’heure de
marche. « C’est là que je prends tous mes repas depuis mon arrivée en
France, en septembre 2011.»
Il a fui la Somalie, où sa vie était menacée,
en août 2011. Comme ses amis, il souhaite obtenir le statut de réfugié. « Je
vivais à Afgooye, une ville au sud de Mogadiscio, raconte-t-il. Avec mon frère,
nous avions une salle de cinéma. Mais dans cette région, des groupes adeptes de
l’Islam radical ne tolèrent pas la diffusion de films. En juillet 2011, des
membres d’un de ces groupes, Al-Shabab, sont venus chez nous, et nous ont dit
de cesser notre activité, car elle était contraire à l’Islam. Ils sont revenus
un autre soir, car nous avions continué. Ils ont assassiné mon frère. Moi, j’ai
pu m’enfuir. Je suis passé par le Kenya. Une tante qui habite aux Etats Unis
m’a aidé à prendre l’avion pour la France. »

Des dépôts de demande d’asile refusés pour cause d’empreintes
digitales « altérées »

Des histoires comme la sienne, il y en a des dizaines parmi les
habitants du squat de la rue Du Guesclin.

Tous ceux qui y vivent ont fuit le pays pour la même raison :
opposants aux islamistes, ou membres de tribus minoritaires menacés d’être
enrôlés de force par les groupes armés tenants d’un Islam radical, ils ont fui,
abandonnant femmes et enfants, pour sauver leur vie. De quoi obtenir, au regard
de la convention de Genève, le droit de réclamer le statut de réfugié.
Pourtant, à leur arrivée en France, leur dépôt de demande d’asile a été rejeté
par l’Office français deprotectiondesréfugiésetapatrides(OFPRA), établissement public chargéd’assurer l’application des conventions,
accords ou arrangements internationaux concernant la protection des réfugiés.
La raison ? Une note interne de l’OFPRA, datant du 3 novembre 2011, qui, pour
faire le tri parmi les demandeurs d’asile, prévoit que les demandes déposées en
préfecture où figurent des empreintes digitales « altérées » soient rejetées de
façon systématique.

« Une situation aberrante », dénonce Jean-Paul Nuñez, délégué de la Cimade du Languedoc-
Roussillon, qui aide les Somaliens à constituer leurs dossiers de demande
d’asile. Il ajoute : « L’OFPRA a déclaré que leur empreintes digitales
étaient inexploitables. C’est peut-être vrai pour certains, car, comme ils
doivent être pris en charge par le pays par lequel ils sont entrés en Europe,
ils se brûlent les doigts ou les poncent une fois leur empreintes prises dans
un autre pays. Mais pas la majorité. »
D’autres, comme Ali, n’ont tout
simplement pas eu à déposer leurs empreintes : « Quand je suis allé à la
Préfecture, on me les a pas demandées. »

En décembre 2011, la Cimade, avec une dizaine d’autres
associations françaises, réunies au sein de la Coordination française pour le
droit d’asile (CFDA), ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour faire
suspendre puis annuler cette note interne de l’OFPRA, au motif qu’elle constitue
un obstacle à l’examen individuel des demandes d’asiles.

Leur maison doit être détruite pour céder la place à un projet
immobilier

Le 11 janvier 2012, le Conseil d’Etat a suspendu la note interne,
ce qui a permis aux dizaines de Somaliens déboutés de faire appel de la
décision de l’OFPRA auprès de le Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Mais
en attendant, leur situation juridique est des plus floues : « actuellement,
ils font l’objet d’un refus de titre de séjour avec obligation de quitter le
territoire
, explique Maître Sophie Mazas, avocate de la moitié d’entre eux.
Ils peuvent donc potentiellement être expulsés à tout moment. Cette
situation met en exergue les contradictions du système mis en place pour les
demandeurs de droit d’asile. »

Car en parallèle, alors que légalement, ils peuvent être
reconduits à la frontière, les 70 Somaliens attendent que l’OFPRA réexamine
leur dossier. « Le 6 juillet, leur refus de titre de séjour sera audiencé
devant le tribunal administratif de Montpellier
, ajoute Me Mazas. Ils
obtiendront alors la possibilité d’attendre que l’OFPRA prenne en compte leur
demande. »
Selon les propres chiffres de l’OFPRA, 60% des Somaliens arrivés
en France ont obtenu le statut de réfugié politique.

Depuis le mois de mai, une variante supplémentaire vient ajouter à
la précarité de leur situation : « le bâtiment où nous dormons doit être
détruit »
, explique Ali. L’emplacement où il est situé se trouve en plein
cœur d’un quartier où doit être implanté un projet immobilier de grande
ampleur. Le 22 mars 2012, le tribunal d’instance de Montpellier, saisi par la
SNCF, leur a donné deux mois pour quitter les lieux. « Le 22 mai, raconte
Jean-Paul Nuñez, un huissier est venu pour leur demander d’appliquer la
décision du tribunal. Ils sont restés. »
Le délégué de la Cimade ne compte
pas les laisser à la rue : « s’ils sont délogés, nous avons déjà trouvé une
solution de remplacement, un nouveau squat. »

Face à l’incertitude de leur situation, Ali et ses compagnons se
montrent fatalistes :

« Chaque matin, nous savons les policiers peuvent venir et nous
faire partir. Mais dans notre pays, c’est notre vie que nous risquons. Il vaut
mieux rester ici. »

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