Lodève. « La France, je l’ai regardée sur la carte accrochée près du tableau »

Lodève Aflou Lodève, le bruit des métiers à tisser par Leïla Sebbar (Libération)

Jusqu’à ce jour, je n’ai pas quitté Lodève.

Et je reviens à Aflou (1) où je suis née. Aflou, djebel Amour, les
Hauts-Plateaux, la steppe et l’alfa, les moutons. Koubbas des saints
musulmans sur les collines.

C’était la guerre.

Les femmes de la tribu avaient quitté la tente pour nos maisons
pauvres du quartier pauvre d’Aflou, le Village Nègre. Je me souviens de
ma grand-mère et des vieilles tantes, dans la pièce du métier à tisser.
Elles récitaient des formules contre le mauvais œil, elles chantaient en
tissant, les hommes n’entraient pas dans la chambre du métier. […] 18_03_12_Fillette_Leila_Sebbar.jpg

Le métier à tisser, mes vieilles tantes l’ont gardé, elles ont continué à
faire des tapis du djebel Amour. Ma mère aussi, à Lodève. Mon père a
acheté pour elle un métier à tisser. Il est allé à la Manufacture de la
ville, comme d’autres harkis, ils pensaient à leurs femmes tisserandes.
On les a embauchées, elles ont travaillé pour la Manufacture des
Gobelins.

Le texte intégral

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Extrait : À Lodève, les tisserandes du djebel Amour, fuyant avec leurs maris
harkis les exactions que d’autres ont subies à l’Indépendance, ont
abandonné la tradition algérienne pour la tradition des Gobelins. Elles
n’ont plus tissé les tapis d’Aflou, Méchéria, El Bayad, Laghouat, Ben
Saada. Les beaux tapis, pliés avec soin après le lavage à la rivière,
sont restés dans un coin de la maison, empilés avec les couvertures de
satin. Les jours de fête on les dépliait, ils vivaient à nouveau dans
les rires et les cris. Randja Benferhat, la fille de Benferhat d’Aflou,
avait ainsi recouvert de rouge et noir une salle des fêtes de Lodève.
J’ai appris, dans un livre que m’a donné Nora Aceval : Tapis d’Algérie en Lodévois,
Bernard Derrieu (Domens, 1997), que sur des tapis du djebel Amour,
rouge et noir, les petits losanges insérés dans un grand losange,
figurent des grains de grenade, symbole de la fertilité, et que dans le
Coran la terre est déployée comme un tapis, c’est peut-être un hommage
rendu aux femmes par le Livre sacré, elles seules tissent les tapis.
Bernard Derrieu raconte aussi la fierté des lissières de Lodève (elles
avaient quitté Tlemcen, Aflou, Méchéria) lorsqu’elles ont vu leurs
tapis, tissés de leurs mains, exposés à Lodève. Pour les visiteurs, les
lissières sont devenues institutrices.

Illustration : vac9‑16.jpg


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