Nous publions une lettre très argumentée de l’ACNAT ( Action Nature et Territoires en Languedoc Roussillon) à Ségolène
Royal, à propos de 2 projets inutiles et destructeurs de l’Environnement : la nouvelle gare excentrée de Montpellier, intégrée dans un vaste projet d’urbanisation au sud-est de Montpellier, et le projet de centre commercial Oxylane
au nord-ouest de Montpellier.
lien avec acnat : http://www.acnatlr.org
Madame la Ministre,
Le Président de la République
François Hollande a récemment déclaré en ouverture de la dernière Conférence
Environnementale, que « [le drame de] Sivens exige d’accomplir des
progrès supplémentaires dans la participation des citoyens à l’élaboration de
la décision publique ». Il s’est déclaré favorable au développement de
la démocratie participative, affirmant que « Cela doit devenir la
règle », et a évoqué l’intérêt de recourir à des referendum
locaux. Par ailleurs, il a affirmé que lorsqu’un projet est mauvais, il « doit
être arrêté rapidement ». Vous-même vous êtes par ailleurs exprimée de
longue date en faveur de la démocratie participative. Suite au conflit sur le
projet de barrage de Sivens, qui n’est pas sans faire écho au projet d’aéroport
contesté de Notre-Dame-des-Landes, vous avez reconnu que ce projet reposait sur
une « erreur d’appréciation ». Comme à Notre-Dame-des-Landes,
l’alerte avait été donnée, longtemps auparavant, aux pouvoirs publics par les
associations locales, mais sans être prise en compte.
Aujourd’hui, la région
Languedoc-Roussillon subit une artificialisation galopante. Les espaces les plus touchés sont
les terres agricoles situées dans la plaine littorale, autour des villes.
Ainsi, la Direction Départementale des Territoires et de la Mer de l’Hérault a
tiré la sonnette d’alarme en 2012 estimant que 46% des terres à fort potentiel
agronomique ont été artificialisées dans le Languedoc-Roussillon entre 1997 et
2009 (51% dans l’Hérault). A l’heure où la région s’engage dans un Schéma de
Cohérence Écologique, qui alerte sur la nécessité de préserver la Trame Verte
et Bleue, particulièrement dans les zones les plus fragmentées (autour des
villes), ce qui reste de la ceinture verte de l’agglomération de Montpellier
subit une vague de « bétonisation » généralisée. Deux projets
emblématiques des erreurs à ne plus reproduire ont mobilisé nos efforts
dernièrement, dans le cadre de leurs enquêtes publiques respectives :
- la nouvelle gare
excentrée de Montpellier, intégrée dans un vaste projet d’urbanisation
au sud-est de Montpellier, - et le projet de
centre commercial Oxylane, au nord-ouest de Montpellier.
Nous avons largement alerté sur les
aberrations du projet de gare excentrée au sud de Montpellier (Annexe 1).
La priorité affichée au passage du TGV à l’extérieur de la ville, au détriment
d’une réelle priorité FRET, nous semble incompatible avec la transition
écologique. Cette nouvelle gare est construite en zone rouge inondable,
transversalement à un cours d’eau, et le projet d’urbanisation de 350 ha
(quartier OZ) qu’elle a motivé risque d’aggraver l’inondabilité des communes en
aval dans une zone ultra-sensible. L’emplacement même de cette gare de
voyageurs est aberrant, puisque les correspondances avec le réseau TER
nécessiteront d’emprunter un TRAM urbain entre les deux gares, occasionnant de
grosses pertes de temps. C’est d’autant plus absurde qu’un projet alternatif
existait à l’intersection de la nouvelle ligne avec l’ancienne avec dans ce
cas une correspondance immédiate. Contrairement à ce qu’affirme le
commissaire-enquêteur, qui répète des informations non vérifiées, le choix de
cet emplacement n’a jamais fait l’objet de consultation publique (Annexe 1).
Avec ce projet et l’opération d’urbanisation qui l’accompagne, toute la
ceinture verte du sud de Montpellier disparaît d’autant que, en parallèle,
l’autoroute A9 est doublée au niveau de Montpellier pour mieux supporter le
trafic des poids-lourds. La faune transitant en marge du littoral se heurtera
désormais à une barrière de béton de 17 km depuis la mer (au lieu de 7
jusqu’à maintenant). Cette réalité ne fait par ailleurs que souligner le vide
du discours des pouvoirs publics sur la préservation de notre cadre de vie.
Le projet d’urbanisation formant un
ensemble cohérent autour de la gare (quartier OZ + TRAM) a été découpé en
plusieurs enquêtes publiques indépendantes, ce qui a permis dès le départ de dévier
toute contestation de fond sur l’ensemble. Cette pratique a eu pour
conséquence une cristallisation des efforts sur l’enquête publique de la gare
nouvelle, qui était la motivation de départ du projet global. L’enquête
publique mise en place pour ce projet portait sur un dossier de plusieurs
milliers de pages que nous avons dû analyser en moins d’un mois. Or le
commissaire enquêteur, Pierre Balandraud, chargé d’études à la DDE retraité, a
opposé un refus catégorique à notre demande de prolonger l’enquête et de réaliser
une réunion publique. Cette difficulté n’a cependant pas empêché 700
contributions dont seulement 11 étaient favorables au projet. Malgré cela,
notre action d’alerte vient de se terminer par l’émission d’un avis positif
du commissaire enquêteur, sans aucune réserve. Nous ressentons cet avis
comme une gifle (voir Annexe 1).
Il n’est pas acceptable que des commissaires enquêteurs continuent à donner
des avis aussi peu représentatifs des opinions et arguments exprimés dans le
cadre des enquêtes publiques.
Concernant le projet de centre
commercial Oxylane (24 ha) porté par Décathlon à Saint Clément de Rivière,
en limite Nord de l’agglomération de Montpellier, nous avons également alerté
les autorités sur l’aberration de ce projet (Annexe 2).
Sur le plan commercial, nous ne comprenons pas l’intérêt d’un tel projet
(absence de besoin, affliction des commerces et services similaires déjà
présents dans le secteur. Par ailleurs, comme la gare, ce projet se situe en
zone inondable (tête de bassin d’un affluent de la Lironde). Là encore,
ce projet est synonyme d’abandon de bonnes terres agricoles, et s’avère en
incohérence totale avec la Trame Verte et Bleue, la préservation d’une ceinture
verte autour de Montpellier, et les objectifs du développement durable (malgré
un habillage très « vert »). Cumulé à l’urbanisation de cette même
ceinture verte au sud de Montpellier, ce projet accentuera la fragmentation
des espaces naturels et agricoles au nord de Montpellier. Plus grave, l’étude
d’impact environnemental, analysée en détail par notre association, montre de
très grosses insuffisances dans l’évaluation de l’état initial et dans la
prescription des mesures compensatoires (Annexe 2).
Comme pour la gare, les demandes par
les associations de prolongation de l’enquête publique au delà du mois
réglementaire, de même que les demandes de réunions publiques, ont été balayées
par le commissaire sur des motifs scandaleux (Annexe 2).
Il a même été difficile d’accéder au dossier d’enquête publique, qui
« n’existait pas en format numérique » : qui peut le croire ? Dans son
rapport, le Commissaire Enquêteur, Léon Brunengo, s’est montré encore plus
imperméable aux remarques manifestées par le public que son collègue confondant
son rôle de synthèse avec l’expression de ses opinions personnelles ; il a
finalement remis un avis positif avec deux petites réserves qui ne
concernent que les eaux usées et la desserte. Notre critique de l’étude
d’impact bâclée et de ses lacunes évidentes a été balayée au motif que celle
ci fait 77 pages et que l’Autorité Environnementale a émis un avis
tacite (Annexe 2).
Ce manque de considération est inacceptable pour les membres de notre
association, constituée notamment de naturalistes professionnels et
expérimentés, et au vu de l’étude environnementale sus-citée qui restera un cas
d’école des dérives de l’expertise environnementale. Nous considérons que
cette conclusion du commissaire, ingénieur des travaux publics retraité, n’a
aucune crédibilité et révèle un manque de compétences (et/ou d’intérêt) pour la
question environnementale. Par ailleurs nous estimons que l’avis de
l’autorité environnementale, sur un projet de cette envergure, ne peut être
donné de manière tacite. C’est pourquoi nous avons interrogé les services
de la préfecture et de la DREAL à ce sujet (Annexe 3).
A ce jour, nous n’avons pas obtenu d’explication.
Suite à ces deux expériences
récentes, simultanées, et particulièrement marquantes pour les centaines de
personnes s’étant mobilisées sur ces deux consultations, nous tenons à
alerter les pouvoirs publics sur le mépris que cette attitude semble traduire
vis-à-vis de la participation citoyenne. Il nous paraît contraire à la
convention d’Aarhus, aux engagements de l’Etat, et propre à détériorer
sérieusement le climat ambiant sur les thématiques environnementales. Si
l’introduction d’éléments participatifs dans la prise de décision
administrative est pour nous un élément positif, et si nous considérions
jusqu’à maintenant comme un devoir de nous exprimer dans le cadre de ces
consultations, il devient évident que de plus en plus de citoyens engagés
perçoivent ces signes d’ouvertures comme des leurres, visant plus à faire
accepter l’unilatéralité de décisions déjà prises, qu’à les infléchir ou les
modérer en quoi que ce soit. Nous sommes là bien loin, en somme, d’un
processus de décision concertée.
La procédure
d’enquête publique comporte des défauts majeurs :
- les consultations
sont bien trop tardives dans la chronologie des projets, l’état
d’avancement du projet devenant alors un argument de fait pour sa
justification ; - le saucissonnage de
grands projets permet de diluer la participation du public en de
multiples enquêtes, et empêche de se prononcer sur le fond ; - les délais sont
ridicules pour ingurgiter des dossiers techniques atteignant parfois
plusieurs milliers de pages ; - l’accessibilité aux
documents reste dans la plupart des cas très difficile et archaïque
(persistance du format papier alors que les dossiers numériques existent
forcément) ; - il n’y a aucune
évaluation de l’impartialité des commissaires enquêteurs sur le long
terme (pas d’accès public et centralisé aux rapports archivés, pas
d’observatoire), alors qu’ils sont en capacité d’exercer un filtrage
extrêmement réducteur.
Dans un tel contexte, nous nous
posons la question de nos futures participations à des enquêtes publiques
(pertinence, perte de temps, sentiment d’être manipulés). Nous pensons que le
democracy-washing ne peut qu’amener à générer des réponses de plus en
plus radicales (procédures judiciaires à n’en plus finir, occupations,
violences et dérapages). Nous ne sommes absolument pas surpris par le drame de
Sivens et observons avec tristesse que Rémi Fraisse était un naturaliste, comme
la plupart d’entre nous. Nous sommes convaincus qu’il serait plus profitable
à toutes les parties de chercher à prévenir plutôt qu’à guérir ce genre de
situation. Or, contrairement à la déclaration du Président de la
République, nous ne voyons sur notre territoire que des signes de
dégradation dans les processus de consultation du public. La pression du
développement étant de plus en plus forte sur des territoires qui sont limités,
les conflits environnementaux ne peuvent que croître. Aussi il est essentiel
que les outils qui permettent aujourd’hui aux citoyens de faire entendre leur
voix ne soient pas détournés. Ils devraient au contraire être sérieusement
améliorés afin que les avis exprimés et arguments avancés soient réellement
pris en compte.
Nous réitérons notre alerte
concernant les deux projets évoqués. Les avis positifs émis par les
commissaires enquêteurs chargés des deux enquêtes respectives nous paraissent
abusifs et caricaturaux. Les décisions qui en découleront vont condamner
définitivement l’existence d’une ceinture verte autour de l’agglomération de
Montpellier, ce qui est une décision historique et irréversible.
Veuillez agréer, Madame la Ministre,
l’expression de nos salutations respectueuses.
Le Conseil d’Administration d’ACNAT
LR 18 Décembre 2014
Pièces jointes
- Annexe 1
: notre réponse à l’Enquête Publique de la gare TGV + extraits du rapport
du CE P. Balandraud correspondant à nos observations + nos commentaires - Annexe 2
: notre réponse à l’Enquête Publique du projet Oxylane + extraits du
rapport du CE L. Brunengo correspondant à nos observations + nos
commentaires - Annexe 3
: courrier au préfet demandant des explications sur l’avis tacite sur
Oxylane et l’accès au rapport préliminaire de la DREAL