Les Zones à faibles émissions : une mauvaise réponse à un vrai problème ?

Alors que depuis le 1er janvier les véhicules Crit’Air 5 sont interdits à Montpellier ainsi que dans une dizaine de grandes agglomérations françaises, comme c’est déjà le cas à Paris depuis 2022 : il semble utile d’analyser ce que sont ces ZFE.

Il est tout d’abord assez étrange sur une agglomération comme celle de Montpellier de ne pas avoir vu fleurir les panneaux indiquant la ZFE alors que celle-ci est en place depuis juillet 2022. A Toulouse ou ailleurs des panneaux indiquant les types de véhicules et les horaires quand il y en a, ont été mis en place.

Pour beaucoup d’habitant.e.s de la métropole montpelliéraine la ZFE n’a donc pas de matérialité du fait de l’inexistence de signalétique, et même son indication sur les GPS semble trop virtuelle. Sachant qu’il existe aussi des itinéraires permettant soit de traverser l’agglomération, soit de rejoindre les parkings + tram afin de pouvoir continuer un trajet en transport en commun.

Enfin le fait qu’il faille se connecter et payer sur internet pour commander la vignette Crit’Air est pour beaucoup une démarche très complexe quand les statistiques évaluent que près de 20 % des français.e.s souffrent d’illectronisme. Des équipements publics comme les mairies annexes pourraient être mobilisées. Certaines métropoles comme par exemple Grenoble ont organisé des réunions de concertation dans les villes et villages concernées pour pouvoir échanger avec les habitant.e.s. Mais sur Montpellier et les 11 communes de la métropole concernées, rien n’a été organisé.

On peut comprendre la réticence des pouvoirs publics locaux à participer à une opération qui leur a été imposée sans leur demander leur avis par le gouvernement Macron. En effet, ces ZFE ont été créées par la Loi d’orientation pour les mobilités de 2019 pour les 11 agglomérations dont la pollution de l’air dépasse les taux recommandés et seront étendues à routes les agglomérations de plus de 150 000 habitant.e.s à partir de 2025 par la Loi Climat et Résilience de 2021.

En 2025, les 45 agglomérations les plus peuplées de France auront une ZFE, cela signifie qu’environ 50% de la population française sera concerné soit en habitant une ZFE, soit en y travaillant, soit en s’y déplaçant régulièrement.

L’objectif des ZFE est de lutter contre la pollution de l’air, responsable de 100 000 décès prématurés par an en France. A titre de comparaison le Covid 19 a été responsable de 69 000 décès en 2020. Et même si les causes peuvent se cumuler notamment pour les formes graves de Covid qui touchent majoritairement des personnes déjà fragilisées. Il est donc essentiel de lutter contre les pollutions de l’air, qui se concentrent essentiellement dans les grandes agglomérations.

La France comme une dizaine de pays dans le monde a choisi d’utiliser les ZFE pour lutter contre ce fléau. Rien qu’en Europe il existe déjà 230 ZFE.

Seulement la dépendance des modes de vie à la voiture individuelle ne vient pas de nulle part. Des choix essentiellement en matière d’aménagement du territoire depuis plus d’un demi-siècle pour la France ont mené à cela.

Or plutôt que de changer les politiques d’aménagement des territoires et de développer l’urbanisme le long des axes de transports en commun, comme ce qui a été par exemple le cas en Europe jusqu’aux années 1950 et de rattraper les zones déjà urbanisées en créant une offre de transports en commun adaptée et des infrastructures cyclables, la plupart des pays choisissent les ZFE.

Les exemples des Pays-Bas et du Danemark qui combinent une priorité aux vélos avec des infrastructures et des équipements cyclables sécurisés et une utilisation importante des transports en commun train, tram, bus, ont pourtant de très bons résultats pour ce qui est d’avoir limité l’utilisation de la voiture pour les trajets du quotidien, celle-ci devenant réservée a une utilisation de loisirs, de vacances ou d’achats spécifiques. Dans ces 2 pays les résultats sont visibles en termes de qualité de l’air mais aussi de santé publique car la sédentarité est une des causes des épidémies d’obésité, de diabète et de mal de dos…

Les ZFE ne permettent pas autant de bénéfices dans les populations, par contre elles s’adaptent beaucoup mieux aux politiques néolibérales puisqu’elles font reposer les investissements sur les particuliers et les entreprises qui vont devoir changer leurs véhicules sans que cela ne soit porté par le collectif. Alors qu’une politique de création de nouvelles lignes de transports en commun, de pistes cyclables ou de parkings sécurisés pour les vélos ou trottinettes repose sur les finances publiques.

On comprend mieux le choix du gouvernement Macron, chantre du néolibéralisme, pour les ZFE. Seulement celles-ci posent des problèmes sociaux et environnementaux non négligeables.

La plupart des propriétaires de véhicules catégorie 5 (interdits de ZFE montpelliéraine depuis le 1er janvier 2023) et catégorie 4 (qui seront interdits en 2024 dans la ZFE de Montpellier Métropole) sont des personnes à faibles revenus. Celleux qui habitent dans les ZFE changeront peut-être leur véhicule surtout si le leasing social promis par le gouvernement se met vraiment en place, mais pour l’instant les aides proposées sont souvent insuffisantes pour les bas revenus, iels risquent de voir encore plus leur mobilité entravée en limitant leurs déplacements vers les ZFE.

Pour beaucoup de personnes la ZFE est considérée comme une mesure injuste socialement. Le Conseil départemental de l’Isère a voté le 18/11/2022 un avis demandant un report de 3 ans pour l’application de la ZFE de la métropole de Grenoble considérant que « les solutions alternatives à la voiture ne sont pas suffisamment développées et que la situation économique impacte déjà trop fortement les ménages ». Ils s’engagent à accompagner la métropole sur 3 ans pour « renforcer le réseau de transports urbains, créer des parking-relais, renforcer le co-voiturage… ».

Mais les problèmes environnementaux des ZFE ne sont pas négligeables.
Les véhicules Crit’Air 1 étant les véhicules gaz ou hybrides rechargeables, on peut penser que c’est vers ce choix que se porteront pas mal d’utilisateurs notamment celleux habitants dans des logements où iels ne peuvent pas recharger un véhicule électrique sur place (centres anciens et faubourgs qui se garent sur voirie, logements collectifs anciens dont les parkings souterrains ne sont pas équipés de prises de courant…). Or ces véhicules Crit’Air 1 consomment et dégagent des gaz à effet de serre (GES).

Pour les véhicules électriques (Crit’Air 0) qui sont bien meilleurs en terme de GES, ceux-ci posent la question de l’approvisionnement électrique du pays. Alors que l’on vit un hiver avec des restrictions de consommation électrique, comment envisager d’intégrer aux besoins énergétiques du pays des millions de voitures individuelles électriques ? Lorsqu’on ne sait pas construire de centrales nucléaires en moins de 5 ans (et même plus de 20 ans pour l’EPR de Flamanville), lorsque de nombreuses centrales grâce au grand carénage vont pouvoir fonctionner encore 10 ou 20 ans selon leur ancienneté. Le tout dans un contexte de grande méfiance des populations envers les énergies renouvelables entretenues par la plupart des grands médias. La situation risque rapidement de devenir kafkaïenne quand presque 50% du parc de véhicules sera renouvelé d’ici 5 ans du fait des ZFE, quel sera l’état de la production électrique française d’ici 5 ans ?

Les ZFE vont être de formidables outils pour relancer la production automobile et d’ailleurs les pays européens qui ont choisi cet outil sont tous ou presque des producteurs automobiles : Suède, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, France…

Pourtant la ZFE ne répondra pas au problème d’un aménagement du territoire qui pousse les populations les moins aisées à habiter soit des quartiers de ségrégation sociale dans les agglomérations, soit à aller habiter en zones périurbaines peu ou pas desservies par les transports en commun ou les infrastructures cyclables. Les modèles néerlandais ou danois ont montré pourtant leur efficacité et leurs réussites en matière environnementale.

Avec ou sans ZFE, il devient urgent d’investir collectivement dans des infrastructures pour laisser le choix à chacun.e de sa mobilité selon le moment et l’envie plutôt que de contraindre des millions de français à utiliser leurs voitures (qu’elle soit électrique, hybride ou thermique) pour tous les déplacements car iels vivent coincés dans des zones non desservies autrement.

Avec le coût du carburant qui va ne faire qu’augmenter, le prix de l’électricité qui lui aussi va continuer à augmenter. Les alternatives à la voiture individuelle vont devenir une urgence écologique et sociale. Interdire le développement urbain dans les zones non desservies en transports en commun et/ou en pistes cyclables sécurisées, développer les transports en commun et les infrastructures pour les mobilités actives sont de bien meilleures solutions pour lutter contre les gaz à effet de serre que les ZFE. Et surtout il serait vain de se contenter des ZFE car celles-ci ne répondent pas au fond du problème qui est une question d’aménagement du territoire et non une question de type de véhicule. Par exemple la question de la durabilité économique des territoires, vivre et travailler près de chez soi, interpelle sur le type de société dans lequel nous vivons et qui nous est imposé.

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