Le
cinéma UTOPIA est bien connu des amateurs de cinéma mais aussi desmilitant-es du
mouvement social qui bien des fois s’y retrouvent pour débattre suite à un
documentaire ou un film.
A
l’occasion de leur passage en SCOP nous avons rencontré Arnaud Clappier, actuel
directeur salarié du cinéma mais avec la même polyvalence que les autres
caissiers – projectionnistes.
1
– Peux tu nous faire un petit historique de la création des cinémas UTOPIA ?
Arnaud
Clappier :
Bigre,
c’est que 40 ans d’histoire, c’est long et tortueux…
ça
commence (en gros) en 1976, à Avignon, avec la volonté de “construire une
alternative à la domination des trusts”.
Avec
trois francs – six sous et une salle de cinéma de 139 fauteuils, mais il faut
bien commencer.
C’est
davantage un cinéma tenu par des militants énervés et accessoirement cinéphiles
(mais sûrs de leur bon goût)
qu’un
ciné-club compassé où l’on arbitre en connaisseurs des concours d’élégances.
Bref.
Il y a plein de péripéties diversement enrichissantes, d’ouvertures et de
fermetures de salles, d’expérimentations en tous genres (pour le meilleur et
l’un peu moins meilleur),
des
gens qui viennent d’un peu partout pour participer à l’aventure et apprendre
une autre façon de faire le boulot,
certains
qui vont même essaimer – comme un certain Antoine P., qui ouvrira à
Montpellier, à Celleneuve son premier cinéma sous enseigne Utopia, avant,
quelques années plus tard, de le rebaptiser Diagonal.
Aujourd’hui
plutôt bien consolidée, “l’alternative à la domination des trusts”
est constituée de 7 cinémas gérés par 5 structures autonomes (à Avignon
toujours, St Ouen l’Aumône / Pontoise, Toulouse / Tournefeuille, Bordeaux – et,
donc, Montpellier), ainsi qu’une multitude d’excroissances sous d’autres noms
(Diagonal, Pandora, Alhambra,…) – des cousinages en quelques sortes.
vous
trouverez des choses plus fouillées ici ou là :
http://www.humanite.fr/node/134453#sthash.nZbBR7uC.dpbs
http://www.salles-cinema.com/actualites/cinemas-utopia-anne-marie-faucon
http://www.liberation.fr/portrait/2003/03/15/ils-font-leurs-cinemas_458734
http://www.ladepeche.fr/article/2013/12/31/1785602-anne-marie-faucon-fait-son-cinema.html
2
– Comment décider du choix des films et documentaires ? Y-a-t-il une vie en
dehors des grandes productions commerciales ?
Les
choix de programmation sont rigoureusement les mêmes pour les documentaires,
les petits films indépendants et les plus grosses superproductions qu’il nous
arrive de programmer. Un seul mot d’ordre : le plaisir de la découverte et le
désir de partager – en ne lâchant rien sur la qualité. Nous sommes nombreux à
voir les films sur les différents Utopia, nous confrontons en permanence nos
points de vue. Que ce soit pour les documentaires ou les films de fiction, il
me semble que nous partageons collectivement une grille de lecture moins
cinéphile que politique : l’important est d’une part ce que le film nous
raconte (des autres, du monde…), d’autre part le regard de celle ou celui qui
filme. Et nous nous efforçons de ne pas nous mettre d’œillères : ce n’est pas
parce qu’un film est fauché et a de grandes prétentions auteurisantes qu’il
trouvera forcément le chemin de nos salles – a contrario, ce n’est pas parce
qu’un film sort d’un studio hollywoodien et joue à fond la carte du star-system
qu’il est nécessairement à dédaigner… Mais dans l’ensemble, nous sommes
effectivement là pour témoigner de l’existence de la vie, non sur Mars, mais en
dehors des modèles dominants et de l’entreprise d’abrutissement qui semble
encore et toujours être le but ultime de l’industrie du divertissement – ce
qu’il convient de faire du fameux “temps de cerveau disponible”.
Objectivement, ça marche, la médiocrité n’est pas une fatalité.
3
– Comment fonctionne UTOPIA Montpellier, quels sont vos liens avec les
associations ?
Globalement,
Utopia a un fonctionnement très rigoureux – c’est la condition de sa survie.
Chaque cinéma est indépendant des autres et tous sont gérés sous formes de SARL
très classiques, sans subventions de fonctionnement locales – ce qui est, à
égalité avec la maîtrise de l’actionnariat (composé uniquement de permanents du
cinéma), le plus fort garant de notre indépendance, à la fois culturelle et
politique. Les seules aides que nous recevons sont accessibles à toutes les
salles de France sans distinction d’origine, de forme ou d’engagement, pour peu
qu’elles fassent un boulot de programmation et d’animation un peu ambitieux –
ce sont les subventions liées au classement Art et essai. De ce fait, notre
survie est conditionnée à nos résultats, nous sommes d’une certaine façon
condamnés au succès – il va de soi que l’organisation interne intègre ces
enjeux, il y a une forte identité commune, les disparités salariales par
exemple sont extrêmement réduites. À Montpellier, la situation est un peu
différente, c’est vraiment une toute petite structure, qui est presque née d’un
pari (faire vivre un cinéma sur un modèle économique considéré comme totalement
obsolète en travaillant une programmation constituée en grande partie de
reprises…) – lequel pari est, grâce à cette organisation, en passe d’être
gagné.
Nos
liens avec les associations sont divers, directs, évidents… disons qu’à partir
du moment où on peut vivre son militantisme au travail, on trouve dans le
tissus associatif des affinités qui permettent d’enrichir en permanence
l’action du cinéma. Il y a des affinités thématique, des sensibilités communes,
culturelles, environnementales, sociales – également des affinités avec des
personnes qui nous ouvrent sur des sujets méconnus et aiguisent notre curiosité
et nous amènent à explorer des terrains inconnus – y compris
cinématographiques.
Concrètement,
parce que quand on éveille notre curiosité nous avons du mal à nous limiter,
nous organisons en moyenne, toute l’année, 2 à 3 rencontres-débats par semaine
au cinéma, soit à notre initiative soit à celle des associations qui veulent
“jouer avec nous”, en essayant de proposer chaque fois le meilleur cadre,
d’innover, de provoquer les rencontres… c’est dans cet esprit que nous avons
mis en place les “petits déjeuners” du dimanche matin, initialement
consacrés à des programmations estampillées “Manger sans paysans” (en
partenariat avec la Confédération paysanne) et qui ont progressivement débordé
de ce cadre pour devenir un moment privilégié de notre engagement militant,
toutes causes confondues.
4
– Pourquoi passer en SCOP ?
C’est
la réponse la plus courte : en gros parce que, la question de la transmission
du cinéma s’étant posée, de même que celle de la continuation d’Utopia”, il a semblé que c’était probablement la meilleure solution
: mettre la structure en les mains de ceux qui la font vivre en pariant sur
leur capacité à la faire perdurer. Et comme personne n’est éternel, à plus ou
moins longue échéance, il n’y avait pas d’alternative (sinon la perpective
d’être vendu avec le fonds de commerce, ce qui est assez peu enthousiasmant).
Coup de chance : l’équipe du cinéma, triée sur le volet, est plus que
volontaire pour tenter l’aventure. Nous sommes donc 3 salariés
caissiers-projectionnistes (extrêmement) polyvalents (sur les 4 que compte
Utopia), jeunes, beaux, souriants et enthousiastes, à nous accorder pour
présider aux destinées d’Utopia à Montpellier, à savoir : Stéphanie Roy (29
ans), Yannick Ozon (36 ans) et Arnaud Clappier (44 ans). Avec l’espoir qu’à
terme c’est l’ensemble des salariés du cinéma qui seront collectivement engagés
dans le processus coopératif.
Mais
ce n’est, en fait, qu’un début, le meilleur reste sans doute à venir et à
inventer.
Montpellier,
le 16 décembre 2014, interview Francis Viguié