La galère des étrangers à la préfecture de Montpellier

Un témoignage édifiant sur la galère subie par les étrangers à la préfecture de Montpellier : une nuit d’attente pour espérer pouvoir déposer un dossier, sans garantie que cela soit possible au final. 






Jeudi 23 août 2012, je suis allée à 7 h 30 me mêler
à la file des étrangers en situation irrégulière désireux de déposer leur
dossier de demande de titre de séjour à la préfecture de Montpellier.

Les deux personnes à
qui j’avais promis de les accompagner, mari et femme, avaient pris la queue la
veille au soir mercredi, à 24 h.

Pourquoi je les ai
accompagnés ?

Parce que leur avocat
avait terminé le dossier de Monsieur dès le 12 mars 2012, mais impossible
depuis de déposer ce dossier à la Préfecture : l’accueil l’a refusé ;  le
Bureau du Courrier l’a renvoyé par la poste ; il a été impossible d’obtenir
un RV par internet ; enfin, l’intervention directe de l’avocat en personne
a été inutile.

A minuit, ce couple m’a
téléphoné (à ma demande) qu’ils avaient déjà trouvé devant eux, installées le
long du mur de la Préfecture, 38 personnes qui attendaient pour le
lendemain.  L’ouverture de la Préfecture a lieu 8 h 15 et le filtrage un à
un commence à 8 h 30.

Il y avait dans cette
file de 38 personnes trois ou quatre femmes ; une majorité d’hommes entre
25 et 45 ans, surtout algériens et marocains, quelques Kurdes, quelques Arméniens ;
certains arrivés le mercredi après-midi dès 17 heures ; certains, Maghrébins
venus d’Espagne pour un bref voyage de 48 h, juste pour faire la queue, déposer
leur dossier et repartir travailler en Espagne. Une quinzaine ont dit au couple
qu’ils étaient là pour la deuxième fois : première nuit, la semaine précédente,
en vain ; deuxième nuit, cette fois-ci. Le plus âgé, 45 ans, a raconté que
c’était sa septième nuit d’attente.

Parmi ces personnes
qui attendent dans la rue, il se crée une solidarité : quand l’un doit
aller boire un café ou aller aux toilettes du bar d’en face, lequel ne ferme qu’à
02 h, le voisin lui garde la place, et réciproquement. Il arrive qu’ils s’entendent
parfois pour faire une liste de l’ordre dans lequel ils sont arrivés, comme ça
il n’y aura pas de contestation entre eux jusqu’à 8 h 15, l’heure où plusieurs
personnes de la Préfecture sortent pour faire le filtrage des 30 premiers de la
file pour deux jours, le jeudi et le vendredi.

La nuit se passe,
interminable. Presque tous sont assis à même le trottoir. Ils dorment une heure
ou deux. Vers 6 h, ils reprennent l’attente debout.

Vers 5-6 heures
arrivent ceux du matin. Ces gens du matin en situation irrégulière ne savent
pas encore que leur venue est inutile, il est trop tard, le personnel de la Préfecture
n’acceptera que le numerus clausus.

8 h : le personnel de
la Préfecture arrive.

8h 15 : dans la
rue où nous sommes, sortent, autant que j’aie pu voir de loin, deux policiers
et trois employés de la Préfecture.

L’une de ces trois,
une dame, crie sans micro, elle appelle d’abord à s’avancer les gens en
situation régulière venus pour renouveler leur titre de séjour, ou les
demandeurs d’asile qui ont un RV, ou les conjoints de Français ; ils  sont
appelés à prendre une file parallèle entre des barrières métalliques ; ils
doublent la file des « nocturnes » qui les regarde avec envie, et ils
sont acceptés pour passer la grille, traverser la cour et aller vers les
guichets à l’intérieur.

8 h 30 : la
tension chez les « irréguliers » devient palpable. Ils se serrent et
se coincent les uns contre les autres vers l’issue. Ils veillent bien à ce qu’un
resquilleur ne vienne pas se glisser parmi eux. Si c’est le cas, ils le dénoncent
à haute voix au policier en le montrant du doigt, le policier le refoule
calmement, et contents ils poussent des : « Voilà ! » de
satisfaction parce que la justice règne. (… !)

Le moment difficile, c’est
quand la dame de la Préfecture a laissé entrer la dernière des trente personnes
qu’elle accepte ce matin-là. Elle crie de ne pas revenir demain, s’il vous plaît,
mais le jeudi suivant ! Accablement général. Il y a encore peut-être 60 ou
70 personnes qui avaient espéré passer ce matin-là. Dont les personnes que j’accompagne.
Désespoir : on a passé toute la nuit dans la rue et ça n’a servi à rien.
On reste dans la file, sonné. La journée qui suit sera perdue : on est
tellement fatigué qu’on va aller dormir, on ne pourra pas travailler…

Le personnel de la Préfecture,
psychologue, laisse passer les minutes, en dialoguant, en expliquant. Quand la
tension se calme un peu, les policiers nous invitent à sortir de derrière les
barrières. Les gens s’égaillent lentement, à contrecœur.  

Ceux qui étaient les
mieux placés, les vingt premiers des refusés, repris par la colère, s’éloignent
un peu et disent entre eux : « On va s’organiser, on faire notre
liste de ceux qui étaient là déjà cette fois-ci toute la nuit. Mercredi
prochain on s’installera tous ensemble dès 16 h et jeudi matin on donnera notre
liste.
 » Ils élaborent leur liste non sans disputes (« j’étais là
avant toi »). Chacun écrit son nom ; il y en a environ 20.

Et le premier des
refusés, un jeune homme instruit, garde la liste et s’engage à être là mercredi
prochain à l’heure dite. Après quoi, ils acceptent de se disperser.

Avant de sortir des
barrières, j’ai dit au policier : « Est-ce qu’on ne pourrait pas
organiser les choses mieux que ça ?
 » Il m’a répondu assez
vertement : « Eh bien, dites-le, vous, comment vous organiseriez
les choses ! 
» Il y avait trop de brouhaha pour qu’on puisse
continuer la conversation.

 

Mercredi matin 29 août 2012

Préfecture de
Montpellier… la suite

Bonjour 
Le père de
famille que j’ai accompagné jeudi dernier (rom d’ex-Yougoslavie) m’a téléphoné
tout à l’heure vers 10 h qu’un groupe de demandeurs est déjà sur place, aux
alentours de la Préfecture (pas devant : c’est interdit) depuis ce mercredi
matin 7 heures. Ils ont réussi à établir une liste ; lui-même, M. Sejdovic, est
le 27 ème ; ils savent que la préfecture refusera de prendre cette liste, mais
cela leur évite pour le moment des conflits entre eux.


Alors, quand les refusés
de jeudi dernier vont arriver ce mercredi vers 16 h, se croyant légitimes avec
leur liste établie jeudi dernier, ils trouveront un grand groupe installé avant
eux. Quant à ceux qui arriveront dans la soirée et la nuit, et ceux qui
arriveront demain matin aux aurores, trop tard, ils se seront déplacés pour
rien.


La semaine prochaine,
ils prendront tous la queue encore plus tôt, le mardi ; la troupe de demandeurs
aura encore grossi, et qu’est-ce que ça va donner ?…


Des journalistes
sont-ils au courant ?

 

 témoignage
de Michèle Nicolaï

 


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