Par Sébastien
Rome. En Languedoc-Roussillon, deuxième
région la plus pauvre de France, comme un peu partout en France, les sorties de
l’éducation prioritaire inquiètent. La nécessité de recentrer les moyens
implique de disposer d’outils pertinents au regard des objectifs que l’on se
fixe : réduire les inégalités. En Languedoc-Roussillon, le compte n’y est
pas.
Éducation prioritaire : on tire toujours sur les vignerons
En Languedoc-Roussillon,
deuxième région la plus pauvre de France, comme un peu partout en France, les
sorties de l’éducation prioritaire inquiètent. La nécessité de recentrer les
moyens implique de disposer d’outils pertinents au regard des objectifs que l’on
se fixe : réduire les inégalités. En Languedoc-Roussillon, le compte n’y
est pas.
Une incompréhension court
entre le ministère de l’Éducation nationale et les parents d’élèves, les
enseignants et les élus du Languedoc-Roussillon. Chacun sait désormais que la
France est un pays où l’école produit plus d’inégalités que dans d’autres pays
de l’OCDE et qu’elle reproduit les inégalités sociales plus qu’ailleurs. La
pauvreté induit, plus qu’ailleurs, échec scolaire. Alors que la région
Languedoc Roussillon est la deuxième région la plus pauvre, l’Aude le deuxième département
le plus pauvre (après la Seine St Denis), les Pyrénées-Orientales le
troisième, le Gard quatrième et l’Hérault, malgré Montpellier, en sixième
position. L’éducation prioritaire devrait être considérablement renforcée en Région.
À première vue, cela peut
sembler le cas, car la région passe de 27 à 31 réseaux d’éducation prioritaire.
Mais à bien y regarder, le ministère passe à côté de la réforme en
Languedoc-Roussillon. Tout d’abord la proposition de 31 réseaux est inférieure
aux besoins énormes de la région. Mais avant tout, la plupart des réseaux
sortants sont des sites qui se trouvent un peu éloignés des côtes et des grandes
villes. Normal, pense-t-on, c’est dans les grands ensembles de banlieues des
grandes villes qui concentrent la difficulté scolaire ! Et bien, si cette
réalité n’est pas absente des villes de la région, la pauvreté est plus
particulièrement présente en milieu rural et dans les centres-villes des
petites villes.
C’est ici que la réforme
rate sa cible. Rappelons l’objectif : « [L’éducation
prioritaire] vise à réduire l’effet des inégalités sociales et territoriales
sur les résultats scolaires et à favoriser la réussite de tous les élèves ».
Or, les quatre indicateurs pris par la DEPP manquent leur cible :
Le taux de retard en 6e,
le taux de boursiers en taux 3, taux de PCS défavorisées, le taux global de
boursiers semblent pourtant objectifs.
Or, le premier est
largement contestable, car il présente un défaut majeur. Au moment où le
redoublement est pratiquement interdit, on l’utilise comme indicateur. En fait,
cela fait plusieurs années que les inspecteurs de l’Éducation nationale luttent
contre le redoublement, car il coûte cher et qu’il est peu efficace. Les équipes
du lodévois que je connais bien, par exemple, ont joué le jeu, notamment mon école
où se concentre la difficulté scolaire et où des alternatives au redoublement
ont été mises en place. Le taux de retard en 6e pour le réseau de Lodève est
donc en dessous de quelques dixièmes du taux pour entrer en REP. Quel bénéfice
y a t’il à remplir sa mission ?
Mais ce n’est pas là
l’essentiel. En fait, ces indicateurs choisis par la DEPP ne permettent pas
tant de mesurer la difficulté scolaire réelle que de mesurer la densité urbaine
de la difficulté scolaire.Dit autrement, parce que ces indicateurs sont fournis
par les collèges, ils montrent bien la difficulté scolaire autour du collège
mais seulement si cette difficulté est homogène sur le bassin de recrutement et
si la plupart des élèves résident à proximité de l’établisement. Si
l’indicateur est pertinent pour montrer les différences entre les manques et
les besoins de la Seine St Denis et Paris, il devient inopérant pour toucher du
doigt la difficulté scolaire en milieu plus péri-urbain où la difficulté est
plus diffuse, voire labile.
Or, c’est bien la
situation du Languedoc-Roussillon. Avec les villes de plus petite taille, voire
toutes petites tailles qui brassent des élèves à des kilomètres à la ronde, la
difficulté scolaire se dilue dans les données. Si les collèges paraissent moins
en difficulté, ils cachent en fait la réalité des écoles où la difficulté est
puissamment ancrée. Mais à ce niveau-là, pas d’indicateur ; donc pas de
difficulté.
Najat Vallaud Belkacem
annonce de « la mise en œuvre de l’allocation des moyens proportionnelle
aux difficultés sociales et scolaires des établissements (ou allocation
progressive des moyens). ». On ne peut être que très sceptique sur cette
capacité à mesurer la difficulté scolaire, notamment au primaire : il n’existe pas données fiables tirées d’évaluations
viables ; il n’existe pas de récolte par école des données sociales des élèves et de
leurs parents ; le taux de redoublement ne peut être un
indicateur quand on sait que l’on veut le réduire au plus proche de zéro ;
il n’y a pas de boursiers au primaire. Une autre source de mon scepticisme est
la difficulté que connaît actuellement l’Éducation nationale a remplir ses
missions « normales, habituelles et relevant du droit commun ». On
sait que la Seine-St-Denis a du mal à avoir des enseignants et des remplaçants.
De nombreuses écoles, actuellement en Education prioritaire, n’ont pas une équipe
d’enseignants spécialisés complète. Par exemple, à Lodève, sur 4 postes de
droit pour les élèves, on atteint les 1,66. Qui peut aujourd’hui croire que
hors éducation prioritaire, les difficultés des élèves seront pris en compte de
manière proportionnée ?
La réforme de la politique
de la ville a fait apparaître les inégalités sociales parce qu’elle a construit
sa carte des quartiers prioritaires au carreau ; c’est-à-dire en analysant
le revenu moyen des habitants sur des surfaces de carreaux de 200 m x
200m. Ce degré de finesse a permis de montrer une France invisible, celle que
Christophe Guilluy ou Laurent Davezy décrivent et
que Raymond Depardon photographie. Une France qui vote FN parce qu’elle est
oubliée des politiques. En prenant le collège pour référence pour choisir les établissements
relevant de l’Éducation prioritaire, on fait varier les échelles entre quelques
centaines de mètres carrés autour du collège jusqu’à plusieurs dizaines de
kilomètres carrés. La densité et la masse de population varient d’autant.
Bref, les indicateurs
choisis pour construire l’éducation prioritaire ne permettent pas de comprendre
toutes les situations de l’Éducation nationale, notamment, celles que l’on
rencontre fréquemment en Languedoc-Roussillon. À mettre la lanterne statistique
sous le boisseau, on risque d’attiser la flamme frontiste. En n’utilisant pas
de réels outils d’analyse de la difficulté scolaire, on ne fait que prendre
aux pauvres pour donner aux plus pauvres. Pour utiliser une image, que l’on
peut juger excessive, on fait tirer à nouveau sur les vignerons.
Dit autrement, qui peut
croire que 48,6 % d’enfants sous le seuil de pauvreté (données CAF) ne sont pas
une priorité ? Voici un autre indicateur qu’on ne peut négliger. Certes,
il y a plus de pauvreté ailleurs mais 48,6 % n’est-ce pas déjà trop ?
Quand on sait la levée de boucliers qu’il y a eu quand les professeurs
de classes prépa ont été sollicité pour répartir les moyens vers le
niveau d’enseignement le moins bien doté… aujourd’hui, ce sont les zones d’éducation
prioritaires qui se partagent entre elles les moyens. Cela affecte considérablement
le discours de l’augmentation du budget de l’éducation car,on a l’impression de
gérer ce paquebot à moyens constants à côté des milliards du pacte de
responsabilité.
Car c’est là encore un
paradoxe de cette réforme. Si l’on prend des statistiques au niveau des collèges,
on est conduit à faire une réforme de répartition des moyens entre collèges et
l’on évacue d’une part la priorité à l’école primaire comme cela est inscrit
dans la loi de refondation et les objectifs de la réforme de l’éducation
prioritaire et de l’autre on se prive d’une mobilité des moyens entre les
niveaux les mieux dotés en France (Lycées, classes prépa) et les niveaux les
moins bien dotés. Bref, on tue dans l’œuf la volonté de refondation puisqu’au
final on s’occupe des conséquences de la difficulté scolaire sans s’attaquer au
moment où elle se forme : dans les premières années de la scolarité.
Le
petit peuple sur lequel l’État a tiré en 1907 en Languedoc n’a plus aujourd’hui
le même visage, ni les mêmes (in)activités professionnelles. Le midi rouge
devient peu à peu brun. Les armes n’ont bien sûr rien à voir ; bien que
non létales, elles transforment certaines vies en longues léthargies.
Clemenceau était au pouvoir à l’époque, nous avons hérité de son admirateur
aujourd’hui. Le petit peuple demeure le petit peuple et on lui tire toujours
dessus (ici on lui soutire des moyens). Il manifeste. Dans le Languedoc, en
1907, le 17e régiment de l’infanterie se mutina ? Doit il y avoir une « mutinerie »
des élus (une fronde ?) et des cadres de l’Éducation nationale
de cette région pour attirer l’attention et mettre sous le regard national une
situation atypique ?
Sébastien Rome