Carcassonne. L’association de soutien à La Fabrique du Sud, SCOP fondée par les exPilpa, a tenu son assemblée générale annuelle. Ce fut l’occasion de revenir sur la réussite de la SCOP et d’échanger avec d’autres coopératives ouvrières.
Article de Benoît Borritz paru inititalement sur le site Association Autogestion
Les Amis de la Fabrique du Sud, l’exemple à démultiplier
L’Association des amis de la Fabrique du Sud tenait sa deuxième Assemblée générale annuelle à Carcassonne ce samedi 23 janvier 2016. L’occasion pour cette association de faire le point sur sa raison d’être et les objectifs qu’elle se fixe pour les années à venir, dans un contexte où la Fabrique du Sud, la Scop des ex-Pilpa, a réussi à prouver sa viabilité. Au-delà de l’assemblée générale proprement dite, cette journée a été riche en rencontres avec d’autres Scop des environs et la Compagnie Le pas de l’oiseau qui a joué le conte théâtral La coopérative, le tout clôturé par un spectacle des Grandes bouches, groupe musical toulousain. Un ensemble de débats divers qui nous montre la pertinence d’une association de citoyen-nes pour accompagner et promouvoir le développement d’une économie plus humaine dans laquelle les salariés contrôlent leurs unités de production. Une expérience à démultiplier…
Pour rappel, l’Association des amis de la Fabrique du Sud s’est constituée au sein de la population de Carcassonne dans la cadre de la lutte des Pilpa pour le maintien de leur unité de production de crèmes glacées menacée de fermeture suite à son rachat par R&R, leader européen de glaces sous marque de distributeur 1. Suite à un conflit de dix mois, les salariés obtenaient de la part de la multinationale des indemnités supra-légales et la possibilité de poursuivre l’activité de fabrication sous la forme d’une Scop dans laquelle se sont regroupés dix-neuf des anciens salariés de l’entreprise. Cette association s’est constituée à l’issue du conflit dans une double volonté de soutenir les premiers pas de l’entreprise et de promouvoir la perspective d’une économie sociale et solidaire.
Rencontre inter-Scop
Une des premières missions que s’est assignée l’Association a été de susciter des rencontres entre Scop des environs sous la forme de Cafés Scop. Si les Scop sont fédérées au sein de leurs Unions régionales, il se trouve qu’elles ne se connaissent généralement pas alors qu’elles rencontrent souvent des problématiques communes. La Fabrique du Sud a donc accueilli ce samedi matin dans ses locaux quelques Scop géographiquement proches pour débattre avec les Amis et des représentants de l’Union régionale. Outre La fabrique du Sud, la SCIC Artichocs (collectif rassemblant une quarantaine d’artistes), les menuiseries Richard (Scop de 5 associés), la Biocoop Tourne-Sol (17 salariés dont 11 associés) , la Scop Bois-Terre-Paille de Limoux (spécialisée dans la construction écologique – 7 associés), Scopelec (prestataire de services en câblage électrique de 2500 personnes), la Coop Bio de Quillan, la Scop-TI des ex-Fralib de Géménos (Bouches-du-Rhône) mais aussi deux Scop en cours de création, l’une sur les services à la personne (cours à domicile et art thérapie), l’autre sur la formation étaient représentées. Le débat rassemblait une quarantaine de personnes.
Pour ouvrir le débat, il a été demandé à chacun-e d’inscrire sur un petit feuillet jaune la question qu’il aimerait débattre. Ces questions ont été regroupées en quatre thèmes (nombre de questions entre parenthèses pour chacun des thèmes) : « implication, motivation et communication interne » (9), « Scop et projet de société » (10), « Mutualiser et faire réseau » (7) et « projets de création » (3). Les débats ont reflété peu ou prou cette répartition. Du point de vue de l’organisation, il y a bien sûr un accord général pour indiquer que la démocratie n’est pas synonyme de désorganisation : « le décisionnel est partagé, l’opérationnel est dirigé » a tenté de résumer le représentant de la Biocoop Tourne sol. Une fois posé ce principe, sa mise en application est délicate. Une sociétaire de Scop a expliqué que dans son entreprise, on ne se sent pas en Scop et que « certains donnent des avis sur tout à tout moment ». Une autre personne de la même Scop a indiqué que ceci s’explique par une exigence forte de démocratie pour des coopérateurs qui ont mis beaucoup d’argent et que la solution réside dans un équilibre entre une confiance à accorder aux élus et le devoir d’information de ces derniers à l’égard des sociétaires.
Jacques Rollin, ergologue, signale ici le risque d’une illusion : l’information ne génère pas mécaniquement de la motivation. La rupture avec la logique capitaliste demande aussi la rupture avec la « pensée taylorienne », avec « la pensée organisation scientifique du travail », avec « la pensée bonnes recettes du management »… Dans ces modes de pensée les hommes et les femmes qui travaillent sont regardés comme des exécutants (ou des ressources qui vont finalement faire ce qu’on leur demande de faire). Or, au travail les gens n’exécutent pas : ils font « usage de soi ». Ils répondent à des problèmes que leur posent les autres (responsable hiérarchique, client, fournisseur…) en leur demandant de faire telle ou telle chose – il s’agit de l’usage de soi par les autres – et en même temps, ils arbitrent en fonction de leur projet, de ce qui fait valeur pour eux – il s’agit de l’Usage de soi par soi – ce dont on n’est pas habitué à voir dans le travail des autres et même parfois dans le sien. Il faut plutôt penser à d’autres manières de « fonctionner », et aussi à des dispositifs où on écoute les points de vue sur la réalisation du travail, où on le met en débat avec d’autres qui portent d’autres logiques. C’est la condition pour construire des « faire autrement ».
Olivier Leberquier de la Scop-TI défend une vision de la reprise en Scop qui s’inscrit dans une perspective de transformation sociale et s’interroge sur l’utilisation, à l’intérieur des structures de formation de l’Économie Sociale et Solidaire, de termes et de concepts de management qu’ils ont préalablement combattus. Laurent Eyraud-Chaume de la compagnie théâtrale Le pas de l’Oiseau s’inscrit dans la même vision transformatrice lorsqu’il interroge le fait que le mouvement syndical ne pose pas l’après-capitalisme comme horizon. François Xavier Salvagnac de Scopelec a rappelé la difficulté de constituer un capital collectif dans une entreprise de forte croissance : la loi de 1978 autorisant le sociétariat comme précondition du contrat de travail a grandement facilité le maintien de la nature coopérative de cette entreprise. Fatima Bellaredj de l’Union régionale des Scop, accepte l’esprit « transformation sociale » de certaines Scop en rappelant toutefois que le mouvement des Scop est ouvert et que son mérite est surtout d’exister dans l’économie réelle, ce qui implique de discuter avec tous, y compris le Medef. Elle regrette toutefois le manque d’intérêt de la part des partis politiques pour ce que le mouvement des Scop représente.
Un repas convivial préparé par des sociétaires et des amis de la Fabrique du Sud s’est tenu à l’issue de ce débat.
L’Assemblée générale de l’association
À partir de 14h, l’Assemblée générale de l’association des Amis de la Fabrique du Sud s’est tenue à la Fabrique des Arts, établissement de formation artistique de Carcassonne Agglo. Michel Mas, président de l’association, et Rachid Aït-Ouakli, trésorier, ont présenté le rapport d’activité et le rapport financier. Très nuancé et nullement triomphaliste, ces rapports ont permis de mettre en avant les succès de l’association mais aussi ses faiblesses. L’association a réussi à devenir un acteur fédérateur du mouvement coopératif par l’organisation de rencontres, d’ateliers thématiques entre SCOP, SCIC et associations de l’ESS. Elle est engagée dans un projet de revitalisation du site des ex-Pilpa : si la Fabrique du Sud occupe une partie de l’ancien site, de nombreuses surfaces restent disponibles que l’association souhaite dynamiser en accueillant d’autres coopératives et structures de l’économie sociale et solidaire pour en faire une « plate-forme locale de l’ESS ». Michel Mas a, par ailleurs, rappelé les nombreux contacts et interventions de l’association dans des réunions locales, des colloques (à l’assemblée nationale en faveur d’un droit de préemption des salariés sur l’entreprise), ainsi qu’aux 5èmes rencontres mondiales sur l’Économie des travailleurs qui se sont déroulées en juillet au Venezuela. Il a mentionné la souscription au capital de la Scop ainsi que sa participation aux réunions. Il nous a fait part des difficultés de l’association à avoir une présence sur l’Internet et de répondre aux demandes de formation de ses membres. À la fin de l’année 2015, l’association comportait 650 adhérents.
Un membre de l’Association Autogestion a salué le travail effectué à Carcassonne qui est unique en France. Il y a une demande de la population pour une autre économie et des besoins de mobilisation pour de nombreux projets de Scop : soutiens aux luttes ou popularisation de leurs produits. Il a soulevé l’idée d’initier une fédération nationale d’associations locales qui œuvreraient concrètement et de façon coordonnée sur ces projets.
Un autre échange a eu lieu sur l’opportunité de valoriser comptablement le travail des bénévoles.
Le projet de plate-forme de l’ESS défendue par l’association a donné lieu à débat. L’attitude de l’agglomération de Carcassonne, qui aimerait voir la Fabrique du Sud libérer ce site industriel, handicaperait grandement ce projet.
Les rapports d’activité et de trésorerie ont été adoptés à l’unanimité.
Des propositions de modifications de statuts ont été proposées, la plupart étant incontournables et de nature cosmétique. Deux modifications étaient sujettes à débat : l’extension du Conseil à 15 membres et la limitation à trois du nombre de mandats que peut recueillir un adhérent pour une Assemblée générale. L’ensemble des modifications a été adopté à l’unanimité.
Michel Mas a ensuite présenté les orientations de l’association en huit grands points :
- Renforcer le fonctionnement démocratique et participatif des adhérents notamment par la formation ;
- Poursuivre la démarche d’éducation populaire dans les lycées, les entreprises, les universités populaires…et toutes les initiatives en prenant exemple de La Fabrique du Sud comme mode alternatif ;
- Développer et renforcer les liens et réseaux avec les acteurs de l’ESS autour de Cafés SCOP, de journées de l’ESS, du mois de l’ESS, etc. ;
- S’impliquer plus dans l’institutionnel (Conseil développement de l’agglo, Région, CRESS, URSCOP, etc.) ;
- Soutenir les initiatives locales, nationales et internationales allant dans le sens de la réappropriation sociale par les travailleurs ;
- Créer un collectif élargi d’acteurs pour élaborer un projet SCIC avec les porteurs de projets pour revitaliser le site industriel des ex- Pilpa pour en faire une plate-forme de l’ESS ;
- Mieux communiquer et rendre plus visible notre association (Site internet, lettre d’infos, expo, conférences de presse…) ;
- Ré-adhérer à Force et Bon thé et à l’Association Autogestion.
Il est apparu clairement que les points proposés par le Conseil d’administration sortant recoupaient largement les préoccupations des adhérents, ce qui explique là encore une approbation à l’unanimité du rapport d’orientation.
Quatorze personnes se sont présentées pour être membres du Conseil d’administration avec un bon niveau de renouvellement par rapport à l’ancien conseil : sept nouveaux entrants et deux sortants. Tous ont été élus à l’unanimité. Une réunion du Conseil s’est tenue sur le champ qui a désigné comme :
Président : Michel Mas ;
Vice-président-es : Catherine Devaux, Henri Garino, Stéphane Maynadier ;
Secrétaires : Bernard Dauphiné et Nicole Ferrier ;
Trésoriers : Rachid Aït Ouakli et Annie Séguy.
Une pause devant les produits de la Scop-TI
Représentation du conte théatral La Coopérative et débat
La compagnie Le pas de l’oiseau a été invitée à jouer sa pièce La Coopérative. Présentée initialement au festival d’Avignon en 2014, ce « conte théâtral » raconte l’histoire de la SG Scop, une coopérative en difficulté dix années après sa reprise par les salariés.
A l’issue de cette représentation, les trois acteurs ainsi qu’Olivier Leberquier de la Scop-Ti, Christophe Barbier de la Fabrique du Sud et Benoît Borrits de l’Association autogestion ont été invités à débattre avec l’assistance.
De nombreuses questions ont porté sur le comment et le pourquoi de cette pièce. Une personne a salué le fait que la pièce ait fait une allusion claire au combat de Notre-Dame-Des-Landes. Laurent Eyraud-Chaume du Pas de l’oiseau a expliqué qu’ils avaient pratiqué l’immersion dans de nombreuses Scop pour réaliser cette pièce et que, si SG Scop est une fiction, la majeure partie des situations et anecdotes ont été vécues. Cette immersion a pour eux été un choc dans la mesure où la réalité des Scop est loin de l’image idyllique qu’ils s’en faisaient, d’où une interrogation au bout de deux mois sur la faisabilité de cette pièce. Cependant la conception qu’ils se font du théâtre – un reflet de notre société et de ses mouvements – a prévalu pour aboutir à cette pièce où le retour des valeurs coopératives a permis de sauver cette entreprise, nous rappelant que l’appropriation sociale effective est un combat permanent.
Le débat s’est alors déplacé autour du refus de la subordination salariale et de l’intégration des valeurs coopératives. Sommes-nous prêts à tous travailler en coopérative ? S’agit-il d’un long chemin ou y a-t-il des accélérations de processus ? Benoît Borrits a rappelé que les coopératives de travail existent depuis le début du XIXe siècle et restent marginales au regard de l’économie dans son ensemble. Et pourtant elles nous montrent tous les jours qu’elles résistent mieux que les entreprises classiques et que la progression actuelle de l’emploi y est plus forte que dans le reste de l’économie. Si elles ont longtemps été oubliées par le mouvement ouvrier, la situation est aujourd’hui, selon lui, plus favorable à leur développement et à leur dépassement dans un projet d’appropriation sociale qui combinerait une socialisation plus forte des revenus, une possibilité d’envisager des financements autrement plus importants qu’au XIXe siècle et une combinaison plus forte des pouvoirs des travailleurs et des usagers dans l’unité de production.
À propos de la socialisation du revenu, Olivier Leberquier a rappelé l’importance du salaire socialisé et des cotisations sociales et s’étonne que dans le mouvement coopératif, certains continuent de parler de « charges ». Un participant a interrogé la relation entre démocratie et efficacité économique. Un autre a parlé du défi que représente l’économie numérique dans la disparition des collectifs de travail et du recours aux statuts moins protecteur du travail indépendant. Laurent Eyraud-Chaume s’est interrogé sur le développement des coopératives de travail dans le monde. Les coopératives ne représentent que 3 millions d’emplois dans le monde et dans de nombreux pays, les sociétaires ont le statut de travailleur indépendant et non de salariés, ce qui induit certaines dérives. À l’égard du numérique, les Coopératives d’Activité et d’Emplois françaises pourraient être un point d’appui pour reconstituer du collectif de travail. Benoît Borrits enfin ce magnifique slogan de la Confédération générale des Scop « La démocratie nous réussit ». Christophe Barbier conclut en rappelant le rôle essentiel des associations de citoyen-nes dans la réussite des projets de Scop, comme a pu le montrer l’expérience récente de la Fabrique du Sud.
Un apéritif dînatoire est alors servi aux participants avant le spectacle « Le bal républicain » du groupe toulousain Les grandes bouches qui saura, malgré une heure tardive, mettre le feu à la salle.
Olivier Leberquier, Scop-Ti en discussion avec Maxime Jarne, La Fabrique du Sud
Tous sur la scène avec Les grandes bouches !