Béziers : «Harcelé à perdre la raison» ou la terrible souffrance du jardinier

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« Harcelé à perdre la raison » raconte la
descente aux enfers jusqu’au drame final de Jean-Michel Rieux. Jardinier municipal dans le bitterois, il fut rendu fou de désespoir par le harcèlement de ses supérieurs  et de
quelques collègues. Le harcèlement a commencé après qu’il aie refusé d’adhérer au syndicat “maison”, lui préférant la CGT. 





Capture_d_ecran_2012-11-12_a_18.01.26.pngLe vendredi 16
novembre à 20H45
à Béziers
(34500), Chapiteau “sortie ouest” , domaine de Beyssan, route de
Vendres.

Projection suivie d’un débat avec la participation de Marie
Pezé
, docteur en psychologie et expert judiciaire, de Marie-Hélène
Delhon
, médecin du travail, de Stéphane Tagliavacca, d’Angelina
Bella
, vice-présidente d’ACHM 34, de Monique et Gérard Rieux, les
parents de Jean-Michel Rieux.


Ci-dessous, un article de Françoise Degert paru dans Médiapart

voir en ligne : ici









«Harcelé à perdre la
raison» , ou la terrible souffrance du jardinier

Il
est rare de voir un documentaire avec autant d’émotion. « Harcelé à perdre
la raison » dévoile la descente aux enfers de Jean-Michel Rieux, jardinier
municipal, rendu fou de désespoir par le harcèlement de ses supérieurs hiérarchiques
et de quelques collègues. Il tuera sa femme et ses deux enfants en 2003, et se
pendra dans sa cellule quelques jours plus tard.

Ce
n’est pas un simple drame. Le film retrace chronologiquement les évènements, l’engrenage
de la mise à l’écart, l’isolement, la déshumanisation de celui qui aimait son métier,
le faisait avec conscience, compétence. Jean-Michel Rieux avait choisi d’être
jardinier et avait étudié en conséquence. Il aimait la nature, soutenait l’écologie,
pêchait à la ligne. Il était heureux au travail et en famille, adorait sa femme
et ses enfants, partageait ses loisirs avec ses amis. Il était doux, absolument
pas déprimé. Jusqu’à ce qu’en 1999, son chef de service lui suggère d’adhérer à
FO, « le syndicat maison » précise son père, Gérard Rieux. Déclinant
l’invitation, il a préféré la CGT. Les ennuis ont commencé.

Mort
à l’intelligence

Dès
lors, sa carrière est entravée, ses congés maladie consécutifs à un accident
deviennent suspects aux yeux de quelques collègues puis de ses supérieurs hiérarchiques.
Injustices et vexations se multiplient. Il ne peut achever la formation qu’il
avait entamée. Il ne peut plus faire de propositions constructives sur son
travail sans qu’elles soient vécues comme des agressions. La hiérarchie ordonne
à ses collègues de ne plus lui parler. C’est l’isolement, la mise à l’écart,
sans donner d’explications. Progressivement, l’administration parle de « comportement
posant problème », puis se focalise sur « le cas » Jean-Michel
Rieux, tout en fermant les yeux et les oreilles sur le service des espaces
verts. 

Chronique
du fascisme ordinaire

Or
le climat y est délétère, pour lui même comme pour ses collègues soumis à la bêtise
humaine la plus noire, au racisme, au fascisme ordinaire. Jean-Michel Rieux
affronte seul les moqueries incessantes vis à vis d’un handicapé qu’il est de
bon ton de relayer si l’on ne veut pas d’ennuis. Il ne rit pas non plus de la
plaisanterie quotidienne exigeant que l’un d’eux, le plus faible, toujours le même,
 baisse son pantalon pour vérifier « qu’il en a ». Lui même fait
l’objet d’attaques racistes car sa femme est d’origine algérienne. Un tract
placardé pendant trois semaines dans le vestiaire des espaces verts,
inaccessible car mis sous clé, instaure un nouveau permis de conduire : « si
vous écrasez un Arabe : + 2 points, le couple : + 3 points, la femme
avec la poussette : +… ». Alertée par Jean-Michel Rieux, le médecin
du travail, Marie-Hélène Delhon, peine à recopier cette infamie et cherche à
rencontrer le chef de service sur le champ. Peine perdue, il est absent.

La
peur en guise de management

 La
peur suinte sur l’écran où l’on voit des collègues témoigner de dos, sans
visage.  Ils dévoilent ainsi ces faits devant la caméra, bien qu’ils aient
tous été promus après le suicide collectif pour qu’ils se taisent. Certains
veulent oublier, d’autres n’y arrivent pas, beaucoup craignent d’être à leur
tour harcelés. On découvre, par ces témoignages filmés, que ce type de
management n’est stoppé que par la menace physique. Un agent du service, à qui
certains répétaient que sa femme le trompait avec n’importe qui, est arrivé un
matin avec son fusil. Il a été hospitalisé sur le champ, puis le jeu s’est calmé,
la peur a changé de camp. Malgré son refus, Jean-Michel Rieux a été muté d’office
à la déchetterie et relégué à l’isolement. Tout un symbole pour celui qui
aimait les plantes et la nature. Il prendra son poste le 6 janvier 2003 avant d’être
arrêté pour dépression. Le 28 février, il poignarde sa femme, ses enfants et
tente de mettre fin à ses jours. Il y parviendra en prison le 12 mars 2003. En
terme médical, Jean-Michel Rieux a été victime d’une « décompensation ».

La
violence et le droit

Jean-Michel
Rieux n’est pas mort couché. Pendant plus de trois ans, il a alerté l’administration,
la municipalité. En vain.  Seuls quelques délégués CGT et le médecin du
travail, Marie-Hélène Delhon, l’ont entendu, sont intervenus. En vain également. 
Après les tragiques évènements, Marie-Hélène Delhon a été dénigrée par l’administration,
et finalement «  remplacée ». La famille a voulu faire condamner le
harcèlement de Jean-Michel Rieux. La Cour de Cassation a confirmé le non-lieu
prononcé par le juge d’instruction puis la Cour d’appel.  On ne s’attaque
pas aisément au  pouvoir local.

Mais
si la justice n’a pas vu de harcèlement moral au terme de neuf ans de procédure,
 le réalisateur, Daniel Kupferstein, en a démonté la mécanique, en filmant
les témoignages de  la famille, des collègues de travail, des amis.
Plusieurs années après, l’émotion est intacte. Et le déroulé chronologique
clarifie l’engrenage, les responsabilités. Tout en contribuant à l’éclatement
de la vérité, ce documentaire témoigne d’une forme de gestion du personnel de
plus en plus répandue qui vise à détruire les individus.

 Marie-Hélène Delhon, médecin du travail,
a suivi cette affaire de bout en bout. Elle en a écrit un livre, témoignage
essentiel.

Dès
son premier entretien, le médecin du travail, Marie-Hélène Delhon, conseille à
Jean-Michel Rieux d’écrire tous les faits pour comprendre ce qu’il se passait
et conserver des preuves. Elle le suivra de bout en bout jusqu’à la fin,
annotant ses impressions,  interpelant par écrit l’administration, l’adressant
à un psychiatre, évoquant cette affaire dans les différents organismes
paritaires.

Elle
prendra plus tard la plume pour décrire dans un style limpide, sans jargon médical
ni administratif, mais avec rigueur, les faits tels qu’ils se sont déroulés
chronologiquement. 

Elle
nous livre ainsi un témoignage imparable, bouleversant, sur la souffrance de
Jean-Michel Rieux attentive au moindre de ses gestes. Elle analyse également
son propre rôle,  voit ses limites face à une administration qui manipule
ses recommandations pour renforcer le harcèlement, au point de rendre
Jean-Michel Rieux méfiant vis à vis du seul soutien sur lequel il pouvait
compter. Dans une deuxième partie, Marie-Hélène Delhion confronte les décisions
judiciaires à la réalité des faits.

Son
livre, qui se lit d’une traite, démonte la mécanique infernale pour broyer les
individus.

À
lire absolument.





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