Montpellier Journal publie une interview sur les enjeux de la gestion de l’eau en Languedoc-Roussillon (voir aussi, à la suite, un texte du NPA: L’eau, un bien commun à reconquérir )
Stéphane Ghiotti est chargé de recherche au CNRS. Il travaille sur l’analyse des rapports sociaux et politiques par rapport à la gestion de l’eau et leur lien avec les questions de développement et d’aménagement du territoire. Entretien sur le Pôle de compétitivité, l’alimentation en eau potable de Montpellier, la place des entreprises privées, le projet Aqua domitia ou encore l’utilisation de l’eau comme moyen, pour un homme politique, de se maintenir au pouvoir et de mener à bien ses projets.
Quel est votre point de vue sur la création du Pôle de compétitivité eau à Montpellier ?
Il a mis un temps à émerger. De par son fonctionnement qui est de rassembler les politiques, les entreprises et le monde académique, il n’a émergé que parce qu’il y avait un consensus au niveau de ces trois sphères : il y a déjà un terreau fertile en Languedoc-Roussillon sur ce type d’inter-relations. La collusion de ces intérêts-là n’est pas quelque chose de nouveau.
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L’eau, un bien commun à reconquérir
L’eau, bien vital, est une ressource qui se raréfie partout sur la planète. Le manque d’eau ou l’eau non potable sont responsables de la mort de 1, 6 million de personnes à travers le monde chaque année selon l’OMS. L’eau est devenue l’or bleu et la communauté scientifique envisage la possibilité que des guerres pour le contrôler éclatent au cours du xxie siècle, comme c’est le cas pour le pétrole aujourd’hui.
L’agriculture est la plus grande consommatrice du précieux liquide et le choix d’une agriculture non vivrière, mais dégageant une forte valeur ajoutée, affame bien des peuples. Et comme une double peine, elle appauvrit cette ressource sans laquelle il ne peut y avoir de vie.
L’eau n’est pas seulement une richesse pillée, c’est aussi le premier bien commun à avoir été transformé en marchandise. Cette marchandisation trouve son origine en France qui, dès le xixe siècle, à Paris avec la Compagnie générale des eaux (Véolia Eau), fonde le système de partenariat public-privé étendu aujourd’hui à d’autres services publics.
À l’inverse de bien des luttes défensives sur la question des biens communs comme celles pour la Poste, EDF et tant d’autres, de nombreuses luttes en France comme partout ailleurs sur la planète, sont à l’offensive et parviennent à arracher des victoires. En Bolivie, en Argentine comme en France, à Cherbourg ou en banlieue parisienne, la mobilisation de la population a réussi à préserver cette ressource des convoitises de quelques multinationales qui, dans la plupart des cas, arborent le pavillon tricolore.
Une agriculture productiviste qui pille et pollue
Dans la plupart des pays, la part de l’agriculture dans la consommation des ressources en eau est de 90 %. Cela est principalement dû à la place de plus en plus importante prise par l’irrigation. Les surfaces irriguées ont triplé en cinquante ans, sans pour autant enrayer la faim. Elles ont en revanche augmenté le rendement et facilité les cultures à forte valeur ajoutée, encouragées par les subventions ou par le prix fixé par les marchés. Ces cultures mal adaptées à l’écosystème, du fait de leurs besoins en eau et en engrais azotés, épuisent et polluent les nappes phréatiques. La Politique agricole commune (PAC) européenne les a encouragées : le maïs, par exemple, très gourmand en eau, en engrais et en pesticides, donne droit à 457 euros de subvention par hectare cultivé, contre seulement 76 euros pour son maintien en prairie. L’eau de ruissellement ne pouvant suffire à l’expansion de ce type de culture, il a fallu chercher l’eau en profondeur, c’est-à-dire dans les nappes phréatiques, jusqu’à épuisement de certaines d’entre elles. Cette eau n’est quasiment jamais payée. Seuls 20 % des captages sont facturés, alors que l’agriculture consomme 70 % des ressources en France. Ainsi, les agriculteurs échappent au financement des agences de l’eau uniquement acquitté par le citoyen lambda et sa facture.
En Bretagne, certaines zones ne sont déjà plus approvisionnées en eau potable en raison d’une trop forte teneur en nitrates. La mission de service public n’est alors plus assurée. C’est pourquoi, en 1996, les consommateurs se sont retournés contre les distributeurs privés comme la Lyonnaise des eaux qui fut condamnée à rembourser les dépenses occasionnées en achat de bouteilles d’eau minérale. Ces derniers ont à leur tour attaqué l’État sur sa responsabilité directe face à la pollution des sols. La Lyonnaise des eaux a obtenu la condamnation du ministère de l’Environnement, qui a dû verser 114 556 euros à la société.
Les cultures comme le maïs ne sont pas les seules responsables. La trop forte concentration d’élevage pour une surface d’épandage limitée sature les sols. Leur capacité d’absorption est également diminuée par le remembrement et la disparition des haies, talus, fossés et de tout ce qui retenait les éléments à la surface. L’équilibre sol-plantes-animaux est alors rompu. Cette pollution s’étend jusqu’à la mer, comme en baie de Saint-Brieuc où les nitrates favorisent le développement des algues vertes, ravageant l’écosystème marin.
Des mégapoles assoiffées
L’urbanisation galopante pose également un problème majeur. En 1955, 32 % de la population mondiale vivaient en zone urbaine contre 59 % prévus en 2025. Déjà, nous allons chercher l’eau de plus en plus loin, en distance et en profondeur, provoquant des affaissements dans certaines villes. Le Mexique en est un bel exemple : un tiers de sa population est concentré autour de Mexico, soit environ 20 millions d’habitants. Alimenter la ville en eau devient un réel défi et la nappe phréatique est tellement sollicitée que la cité s’est enfoncée de plus de dix mètres ces 70 dernières années. C’est aussi le cas de Shanghai, de Djakarta ou de Bangkok.
Paris a besoin pour son alimentation en eau de quatre barrages réservoirs, de sept usines (dont la dernière a coûté plus de deux milliards de francs). Madrid compte treize barrages, cinq usines, 500 kilomètres de canaux. New York, Stuttgart, Dakar vont s’approvisionner à plus de 200 kilomètres de leur centre-ville. Certaines régions, en Asie par exemple, doivent alors choisir entre alimenter une ville en eau ou irriguer les cultures. Les nouveaux besoins de ces mégapoles vont encore croître, imposant ce type de choix. L’arbitrage ne se fera pas sans casse et on sait qu’en Chine le nombre d’emplois et la valeur économique induits par un seul mètre cube d’eau « industriel » sont 70 fois supérieurs à ceux d’un mètre cube « agricole ». Déjà, dans certaines régions, des industriels rachètent des rizières aux agriculteurs pour s’assurer le contrôle de leurs réserves d’eau.
La privatisation d’un bien vital
C’est en France que la privatisation de l’eau prend naissance. D’ailleurs les trois plus grandes multinationales marchandes d’eau sont françaises : Véolia, Ondéo (Suez) et la SAUR.
Au xixe siècle, la France a encouragé l’investissement privé afin d’équiper ses grandes villes, principalement pour amener l’eau chez les particuliers. Avant cela, l’État s’était chargé de grands travaux tels que l’assèchement des marais, la construction de digues et de canaux. Il voulait alors encourager les investissements avec une formule très simple : limiter les risques financiers et les déficits des entrepreneurs en incitant les collectivités à financer au maximum les investissements privés. Ainsi naquit, il y a 150 ans, la Générale des eaux (120 ans pour la Lyonnaise devenue Ondéo, Suez). Pour les Parisiens et les Lyonnais, entre autres, l’eau du robinet n’a jamais été publique. Les conditions étaient alors posées pour la marchandisation de l’eau.
En 1950, deux tiers des 36 000 communes françaises géraient leur service d’eau. Aujourd’hui, c’est le cas de seulement 25 % d’entre elles. Plusieurs lois et avantages ont permis ce basculement, surtout ces vingt dernières années. En 1991, une loi sur l’eau obligeait les municipalités à séparer le budget eau-assainissement du budget général. Depuis, c’est la facture des usagers qui paie seule l’ensemble de la chaîne de l’eau. L’idée de service public est abandonnée. Cette loi pose des barrières aux élus : responsabilité personnelle accrue, code des marchés publics auxquels échappent les prestataires privés. Depuis, les lois sur l’eau se sont enchaînées, garantissant un peu plus à chaque fois les avantages des requins marchands d’eau.
Un impôt masqué
En 1982, les lois de décentralisation supprimaient la tutelle des préfets sur les élus locaux. Ces derniers pouvaient ainsi signer seuls des contrats jusqu’alors encadrés par les services de l’État. Les enveloppes et les « droits d’entrée » étaient l’arme supplémentaire des entreprises. Le droit d’entrée était une somme (de dix à cent millions de francs) versée à la signature du contrat avec l’entreprise privée. Il était versé au budget général de la ville et pouvait s’accompagner de la construction d’un stade ou autre équipement, sans compter les avantages de tarifs pour les services municipaux, élus et entreprises.
En 1995, la loi Barnier prohibait ces droits d’entrée qui se transformaient aussitôt en « redevances d’occupation du domaine public capitalisé ». Toujours en vigueur aujourd’hui, cette loi ne changea donc rien au système d’attribution des contrats. Certaines collectivités, pour doper leur budget, augmentent les tarifs fixés avec le délégataire privé aux dépens des consommateurs. Ainsi les élus affichent une bonne gestion, une faible augmentation des impôts, un budget équilibré… Des dizaines de millions d’euros peuvent alors alimenter le budget municipal annuel sur le dos des habitants par un impôt qui n’a pas de nom. Le contrat entre la ville de Toulouse et la Compagnie générale des eaux (Véolia) était un excellent exemple de ces pratiques. À la signature du contrat, au début des années 1990, la ville obtient un droit d’entrée de 437, 5 millions de francs, qui vont directement dans ses caisses. Cette somme est remboursée sur la facture d’eau par les usagers avec un taux d’intérêt proche du taux d’usure, ce qui aurait représenté une somme remboursée de 1, 45 milliard de francs.
D’autres pratiques douteuses sont très nombreuses, telles les « captives » d’assurance, filiales off shore distribuant des primes d’argent blanchi, le détournement des « provisions pour renouvellement » alimentées par la facture de l’abonné (elles sont censées financer les travaux). Une partie est utilisée, l’autre placée. À la fin du contrat, de grands travaux sont entamés pour justifier ces fonds. Toutes ces pratiques ont un prix, sur la facture de l’usager bien entendu ! Selon l’Institut français de l’environnement, face aux régies municipales, la gestion privée représente en moyenne un surcoût de 27 % pour la distribution de l’eau et de 20 % pour l’assainissement.
Une lutte offensive
À l’heure où nous nous battons contre la privatisation de chaque service public comme la Poste ou la santé, d’importantes luttes ont lieu à travers le monde et en France pour reconquérir ce bien commun.
Au début des années 2000 éclatent de violentes luttes en Bolivie contre l’arrivée de Suez dans la gestion de l’eau de La Paz. Des collectifs contre la privatisation de l’eau et de l’assainissement se montent. Le mouvement prend de l’ampleur allant jusqu’à bloquer le principal axe routier qui relie la ville au reste du pays, asphyxiant économiquement la capitale. La répression d’une manifestation contre la privatisation en octobre 2003 fait 86 morts. Cette lutte est victorieuse puisque Suez perd finalement le contrat et la mobilisation s’amplifie à d’autres ressources comme le gaz et le pétrole. Ce sont ces luttes qui débouchent sur le départ du président Sanchez Gonzalo de Lozada et à l’arrivée de Morales au pouvoir.
Les bidonvilles de Soweto, en Afrique du Sud, se sont levés et ont également lutté contre l’arrivée de Suez qui voulait poser des compteurs d’eau afin bien sûr de la facturer. Des batailles parfois très violentes se sont déroulées.
En France, on assiste à une bataille de reconquête depuis un peu plus d’une décennie. Dans de nombreuses villes, des usagers s’organisent afin de pousser les équipes municipales à faire le choix de revenir en régie municipale comme à Grenoble, Cherbourg, Castres, Le Palais et récemment Paris. D’autres associations d’usagers entrent dans une bataille juridique afin de dénoncer certains aspects du contrat bien souvent illicites au regard du droit. Malheureusement, il s’agit de procédures longues et harassantes. Mais la pression de plus en plus souvent exercée sur les éluEs par les usagers, à défaut d’obtenir la municipalisation de l’eau a pu déboucher sur des baisses de tarifs.
Ces mêmes tarifs sont régulièrement dénoncés par les associations comme UFC Que choisir. L’exemple du Sedif, le plus gros contrat de Véolia eau avec 144 communes d’Île-de-France, est parlant puisque son taux de marge atteint 58, 7 %.
Le NPA doit donc participer à toutes ces initiatives qui, petit à petit, arrivent à inverser la tendance et nous permettent de reconquérir des biens communs, des services publics qui ne l’étaient plus depuis de longues années. Ce sont ces mêmes multinationales dont la voracité s’attaque à présent aux transports et à l’électricité, appliquant les mêmes formules que celles qui leur permettent de vendre de l’eau. Sachons leur appliquer les mêmes réponses, pour reconquérir partout nos biens communs.
Tiré du site national du NPA: http://www.npa2009.org/