Un scoop de Midi Libre : les patrons souffrent !

« Amarok » va traquer, pour l’examiner de près, la souffrance patronale.

Un article de Antoine (NPA Pic-Saint-Loup)

« Amarok » ?
Il s’agit, selon le site de Midi Libre de ce 19 octobre (voir ici et plus bas), d’un observatoire qui sera basé à Montpellier, Lyon et, peut-être, Paris. Et que vient de créer un chercheur de l’université de Montpellier.

Une souffrance qui serait sousestimée ?

Sur la souffrance des patrons, on peut, à la rigueur, partager …l’observation de Midi Libre : « L’idée est à contre-courant. La souffrance des salariés, on connaît, [pas celle des patrons]. ». Mais on ne suit plus, mais plus du tout, dès que le journaliste aligne les grands mots, à faire frissonner, qui font vendre : « [La souffrance] des patrons est par essence suspecte. Taboue. ». On ne contestera pas la réalité du phénomène, encore qu’il mériterait d’être analysé, mis en perspective (selon quels critères ?), etc. et donc pourquoi pas, pour y voir plus clair, un observatoire, pas nécessairement dirigé d’ailleurs, comme c’est le cas ici, par un… économiste. On pourra même montrer du respect devant cette souffrance, comme, au fond, devant toute souffrance.

Mais on ne nous fera pas prendre des vessies pour des lanternes : il n’y a ni suspicion ni tabou autour de cette souffrance-là, peut-être seulement quelque méconnaissance ou quelque ignorance. Et ce n’est déjà pas mal pour justifier la création d’un observatoire. Mais qu’on ne vienne pas, par la bande d’une information, a priori donc purement factuelle, mettre en branle, chez les lecteurs, tout un mécanisme d’excitation compassionnelle sur une souffrance qui, premièrement, ne peut égaler quantitativement, mais aussi qualitativement (expression paradoxale et malheureuse, je le reconnais), la souffrance des salariés et de leur famille ; qui, deuxièmement, pose l’interrogation éminemment politique, mais bien taboue, elle, chez notre journaliste, du rôle de ce patronat souffrant (entre autres, si l’on suit le protocole d’observation d’ « Amarok », d’ « alcoolisme mondain » !) dans justement cette souffrance salariale !

Même souffrant, un patron reste un patron..

Assez de ce journalisme qui, pour vendre et plus (comme baliser idéologiquement le champ social), transforme le lecteur en vecteur du consensus de la souffrance qui « fait de toi, patron, l’égal de toi, le salarié » ! Non, même souffrant, un patron reste un patron. Et, s’il faut souhaiter un prompt rétablissement, c’est celui du rapport de forces qui a beaucoup « souffert », depuis au moins 1981 et les démissions répétées de la gauche dite « responsable », et dont la dégradation a mis les travailleurs sur la défensive. Oui, il faut souhaiter le rétablissement d’un rapport de forces favorable qui devrait avoir pour conséquence logique de rendre bien malheureux nos patrons et surjustifier les observations au scalpel d’ « Amarok ». On pourra se demander, en passant, dans quelle sous case « facteurs déclenchants » de ladite souffrance cet observatoire placera les boute-feux de la révolte sociale que sont le NPA et les copains des autres partis de la gauche radicale ! Ah ! toujours cette tentation, très 19e siècle « libéral », de corseter-médicaliser-neutraliser le social et le politique !

On notera, en poursuivant le décodage du biais qu’introduit le journaliste de Midi Libre, le glissement qu’il opère entre le titre et ce qu’il écrit dans le corps du texte : on a droit dans celui-là à l’accroche sur la « souffrance des patrons », au pluriel et sans aucune encombrante adjectivation, accroche relayée telle quelle par la suite, à plusieurs reprises. Et puis, au détour d’une virgule et de quelques points, nous nous retrouvons devant la souffrance des… « petits patrons » ! Ce rétrécissement-élargissement (plus ils sont petits, plus ils sont nombreux !) de la surface de l’objet patron analysé par « Amarock » n’est bien sûr pas innocent ; pas plus que cette affligeante banalité qui ponctue la manoeuvre : « La souffrance est humaine quelle que soit sa forme. ». Nous avons affaire là à la bonne vieille cuisine de la manip, en connivence plus ou moins consciente, du politique et du médiatique : vous ajoutez à la mixture « recherche labellisée qualité universitaire » une pincée de grande patronne Parisot donnant son imprimatur, une pointe de patron mécène-subventionneur, deux doigts de « grand ponte de médecine et de généralistes » associés, vous assaisonnez à la façon esquimau (« “Amarok”, tiré d’une légende esquimau qui dit qu’une société doit protéger ceux qui la font vivre ») en délayant une sauce dégoulinant de bons sentiments humanistes et qui met en avant les « petits » avec qui, n’est-ce pas, on ne peut qu’être solidaires ! Même quand il s’agit de patrons. Pour le plus grand bénéfice des « grands », je veux dire, patrons ! (1) Et vous vous retrouvez, à l’arrivée et en guise de conclusion de l’article, avec une apologie insidieuse ( ?) de la collaboration de classes : « Si, en plus, la bonne santé d’un patron profite aussi au salarié… ».

Avec « Amarok » décidément Midi Libre nous prend, en ces temps de grande souffrance suicidaire des salariés, pour des…pingouins. Avec tout le respect qu’on doit à ces alcidés ! Qu’on se le dise donc : « Lecteur, en ouvrant ton Midi Libre, tu restes un travailleur ! » !

(1) l’apitoiement « midilibré » sur les petits patrons souffrants gagnerait à être confronté à ce que vivent ces délégués syndicaux des petites boîtes qui cherchent à faire valoir leurs droits et ceux de leurs mandants. Il y a de ces patrons qui se refont une santé à faire la chasse à l’empêcheur d’exploiter en rond et qui « compensent » la souffrance qu’ils endurent parfois du « grand » donneur d’ordre en pressurant le petit…salarié. A part ça, on sait qu’existe l’exception du patron proche (jusqu’où ?) de ses salariés (voir dans Motivé(e)s de juin, n° 93, le texte du copain Claude (cliquer ici et aller p. 14) sur le regroupement d’Artisans Commerçants Solidaires, ArtComSol). Mais l’exception n’est justement pas la règle! Et pour l’efficacité de la résistance ouvrière, il vaut mieux ne pas l’oublier et, souvent, refermer son journal.

L’article de Midi Libre
(Olivier SCHLAMA, le 18 octobre 2009)

Hérault
A l’initiative d’un chercheur Montpellierain, “Amarok” va observer la souffrance des patrons

Il sera basé à Montpellier, Lyon voire Paris. Mais l’idée, celle d’un chercheur en économie de Montpellier, Olivier Torrès, est bien arrêtée : “Amarok”, un observatoire sur la santé des patrons, ouvrira d’ici janvier 2010. Le budget est aussi défini : 1 M€ pour cinq ans. Et un mécène, Bruno Rousset, l’assureur April de Lyon, apporte son écot : 30 %.

Il reste quelques partenaires à trouver mais ce ne devrait être qu’une formalité, tant le patronat est derrière cette idée qui a fait florès, après que ce chercheur eut pointé la souffrance des petits patrons. D’abord dans une tribune (“L’inaudible souffrance des petits patrons”) remarquée dans Le Monde en février 2009. Puis dans l’émission Complément d’enquête sur France 2. Après, il a été « sursollicité ».

L’idée est à contre-courant. La souffrance des salariés, on connaît. Celle des patrons est par essence suspecte. Taboue. La théorie d’Olivier Torrès ? La souffrance est humaine quelle que soit sa forme. Même Laurence Parisot, la présidente du Medef, a donné son imprimatur au projet qui associera aussi un grand ponte de médecine et des généralistes. Il faut dire que ce sera une première.

« Cet observatoire national de la santé sera celui des dirigeants de PME, des commerçants et artisans, explique ce chercheur à l’université de Montpellier. Le constat est très simple : il n’existe quasiment aucune statistique sur cette population. Or, ce serait bien d’étudier quatre facteurs plutôt nuisibles : quelle est leur surcharge de travail, leur incertitude face à l’avenir, leur stress et leur solitude. »

Comme tout le monde le sait, le petit patron « travaille à mi-temps… 12 heures par jour », ironise Olivier Torrès. Cet observatoire emploiera plusieurs salariés et produira des statistiques. « Je voudrais savoir quelle est la santé d’un patron de PME. Si ça se trouve, elle sera meilleure que ce que l’on croit. Mais, par exemple, le fait de voyager par monts et par vaux pour remporter des marchés à l’exportation a une incidence sur les insomnies, les crises cardiaques, l’alcoolisme mondain, etc. Même s’il s’agit de contraintes choisies et non pas subies pour un chef d’entreprise. »

L’observatoire portera le nom d’”Amarok”, tiré d’une légende esquimau qui dit qu’une société doit protéger ceux qui la font vivre. Si, en plus, la bonne santé d’un patron profite aussi au salarié…

Partager :
Ensemble 34