Pêcheurs : ne leur jetez pas la pierre

Pêche artisanale ou industrielle, surpêche et protection des espèces, conditions de vie des marins pêcheurs : un interview par Pierre Daum de Madgid Bouayad-Agha, employé sur un chalutier à Sète, président de l’association des marins pêcheurs Sète Méditerranée et vice président du
comité régional des pêches du Languedoc Roussillon.

Ci-dessous aussi, un point de vue du NPA sur la question.

Depuis quelques années, les problèmes de la pêche en Europe s’invitent régulièrement
aux actualités. Avec une image générale de patrons pêcheurs qui
raclent les fonds pour obtenir un maximum de profits, et des experts bruxellois
qui tentent de les limiter afin de permettre le renouvellement des espèces.
Lorsque ces patrons bloquent les ports de Sète ou de Marseille pour réclamer
une baisse du prix du carburant, alors que nous penons qu’ils pêchent beaucoup
trop, nous avons tendance à refuser de les soutenir.
Or, sur les 2000 marins
pêcheurs français de Méditerranée, les gros patrons ne représentent qu’une poignée.
La plupart des pêcheurs sont seuls sur leur petit bateau. Quant aux salariés
embarqués sur les 32 thoniers et les 85 chalutiers de Marseille à Port
Vendre, leur nombre s’élève à 400 environ. Nous avons demandé à l’un d’entre
eux, Madgid Bouayad-Agha, employé sur un chalutier à Sète et président de
l’association des marins pêcheurs Sète Méditerranée, et vice président du
comité régional des pêches du Languedoc Roussillon, de nous donner son point
de vue.

Interview de Madgid Bouayad-Agha, propos recueillis par Pierre Daum

.

Quels sont les points les plus noirs de
la pêche aujourd’hui ?

Limitons-nous aux deux plus importants.
Le premier, c’est qu’il y a dix
ans, on a subventionné des bateaux surdimensionnés
en puissance, sans tenir
compte de la ressource halieutique.
Cela touche évidemment le thon rouge,
et aussi les gros chalutiers, qui ramassent
la sole, le rouget, la baudroie, le
loup, la sardine, l’anchois, etc…
L’argent public offert aux armateurs,
pour ces bateaux qui peuvent coûter
plusieurs millions d’euros, s’est élevé à
40% du total ! Et aujourd’hui, les
mêmes fonctionnaires qui ont accordé
ces subventions faramineuses expliquent
que la flotte est beaucoup trop puissante
par rapport aux réserves de
poissons, et qu’il faut détruire certains
bateaux. Le second gros problème est
la non application des lois républicaines
des règles du travail. On est
dans un secteur qui fonctionne sur des
us et coutumes dignes du moyen âge.
Peu de gens le savent, mais un grand
nombre de marins embarqués sur les
gros bateaux ne reçoivent ni bulletin de
salaire, ni indemnités de chômage, ni
congés payés, et pour certains même
pas de contrats de travail. Et tout officiellement.
Hallucinant, non ?!

Comment fonctionne alors la
rémunération des employés sur les
thoniers et les chalutiers ?

À la part. Chaque
matelot touche
un pourcentage
de la recette nette
de la journée.
Admettons qu’à
la fin de la
journée, le chalut
ramène 1 tonne
de poisson. Que
ce poisson est
vendu 1000 euros
à la criée. De ces
1000 euros, on

retire les charges communes : le carburant,
les lubrifiants, la glace, les frais
de nourriture, charges sociales. Il reste
700 euros. Le patron, qui a à sa charge
l’amortissement du bateau, en prend la
moitié, voire 60%. Les 350 euros restant
sont divisés par le nombre de
matelots. S’il y en a 5, cela fait 70
euros chacun. Par contre, en cas de
grosse panne, d’arrêt imposé par
Bruxelles, voire de licenciement, les
Assedic n’existent pas. Le matelot reste
chez lui, et ne touche pas un rond. Et
parfois, même, le patron lui impose de
venir sur le bateau à quai, sans rémunération.
Dans certains cas, il peut prétendre,
au mieux, aux 600 euros mensuels
de l’allocation spécifique de
solidarité.

Qu’est-ce que vous proposez pour
concilier la sauvegarde des réserves
halieutiques et la protection des
marins ?

Je suis d’accord sur un point avec
Bruxelles : les thoniers et les chaluts
pêchent trop, et si ça continue, il n’y
aura plus de poissons en Méditerranée.
Et c’est sûr qu’il va falloir passer par la
casse de certains bateaux, et donc le
licenciement de marins pêcheurs. Mais
il faut que cette casse sociale soit compensée par un véritable plan social, ce
qui n’est pour l’instant pas du tout
admis par Bruxelles ! Nous réclamons
que ceux qui vont se retrouver
sur le carreau puissent recevoir des
indemnités suffisantes, et des propositions
de formations de reconversion
intéressantes. Mais dans le même
temps, nous demandons de réfléchir à
des solutions alternatives, qui permettraient
de limiter considérablement
les licenciements. J’en vois
deux. D’abord, supprimer cet accord
conclue dans les années 80 qui permet
aux armateurs de navire de
moins de 25 mètres de ne pas cotiser
aux Assedic. La possibilité de toucher
des indemnités chômage permettrait
d’envisager des arrêts de travail
biologiques, pendant lesquels les
stocks se renouvelleraient. Mais le
problème vient aussi du prix du poisson
à la criée. Aujourd’hui, un patron
de chalut vend la sardine à moins
d’un euros le kilo, parce qu’il se
retrouve en concurrence frontale
avec la sardine du Maroc ou d’ailleurs, qui arrive en France à 25
centimes le kilo, prix du voyage compris
! À ce prix là, il ne peut pas se
contenter de pêcher 1 tonne. Il est
obligé d’en pêcher 10. D’où la mort de
la sardine. Une solution serait donc
d’instaurer des taxes à ces poissons qui
viennent de pays où le prix de revient
est très bas – notamment parce que la
main d’ouvre y est encore plus
exploitée qu’en Europe !

N’y a-t-il pas aussi, comme pour les
producteurs de lait, une pression
négative de la grande distribution ?

Si, tout à fait. Aujourd’hui, le pêcheur
vend son poisson à un mareyeur, qui le
revend à la grande distribution. Même
si le mareyeur n’était pas trop gourmand,
cette dernière exerce sur lui une
telle pression qu’il est obligé de la
répercuter sur le pêcheur. Nous réclamons
une indexation des prix d’achats
aux marges des mareyeurs. C’est aussi
au consommateur de faire l’effort
d’acheter du poisson pêcher localement,
et de préférence en évitant les
grandes surfaces.

Notre point de vue : Une autre pêche ?


D’une part le productivisme et le pillage à outrance des ressources marines, de l’autre
un tiers de la population mondiale qui dépend des protéines du poisson.
Entre les deux, au bord du naufrage, la pêche artisanale et les pêcheurs.

Selon les études les plus crédibles la surpêche industrielle pourrait mener à l’effondrement
des réserves mondiales de poisson commerciaux
(thon, flétan, hareng, lotte,
sole, etc.) dans les décennies à venir. La situation est encore aggravée par les effets
combinés du réchauffement qui détruit les zones de reproduction et ralentit les courants,
par l’acidification des mers et la raréfaction des substances nutritives. Mais au
lieu de repenser le système de la pêche, les instances internationales, UE en tête, et
les gouvernements libéraux font le choix d’abonder dans le sens de la pêche industrielle.

Et les premiers à en payer le prix, ce sont les travailleurs de la mer.
Une répartition scandaleuse des quotas de pêche (9.000 t. pour les pêcheurs français contre plus de 500.000 t. pour
les racleurs de mers que sont les entreprises de pêche industrielles norvégiennes); concentration des concessions
de criée qui implique une menace de disparition pure et simple de ports de pêche à moyen terme; explosion des
marges des intermédiaires et des grandes surfaces; plan de casse massif, basé sur le “volontariat” des artisans
pêcheurs étranglés par les dettes et les emprunts, présenté comme la solution au problème de la surpêche.
Le NPA soutient qu’une autre pêche est possible, avec d’autres types de financement et de rémunération, afin
d’empêcher les gros navires racleurs de fond de détruire la biodiversité marine, et de garantir un revenu décent aux
pêcheurs
.
Par ailleurs, une gestion publique des ressources doit se mettre en place, incluant les pêcheurs, afin
notamment de respecter les cycles de vie et de reproduction des poissons.
Encore une fois, on veut opposer les travailleurs, monter les citoyens contre les pêcheurs. Ne nous trompons pas de
cible : la pêche artisanale n’est pas l’ennemie de l’environnement.

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