Une mission civile médico-psychologique et de solidarité avec le peuple palestinien, a tenté de se rendre à Gaza. Impossible de passer la frontière égyptienne. Récit de ces journée édifiantes par le montpelliérain José Luis Moragues qui menait la 147° mission du CCIPPP
Article de José Luis Moraguès, coordinateur CCIPPP34. http://www.protection-palestine.org
Ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Nous savions que la décision de fermeture de la frontière avait été prise au plus haut niveau. Le contrôle de cette frontière est en effet un élément important dans les négociations en cours entre l’Egypte, Israël et la Bande de Gaza. Donc nous savions qu’à notre niveau nous ne pouvions agir sur cette décision. Cependant, du lundi 16 au dimanche 22, durant sept jours nous nous sommes présentés avec tous nos bagages (et nous étions chargés !) au poste frontière de Rafah et nous y sommes restés en moyenne 5h par jour pour bien montrer que nous voulions passer. Trois, quatre, cinq fois par jour nous avons interpellé les policiers en uniforme et en civil pour demander des explications et exiger d’être reçus pas le chef de poste. Chaque jour nous lui avons inlassablement répété le but de notre mission et exposé la nécessité de notre passage.
La réponse des gardes frontière
Le premier jour ils nous ont dit que le ministère des affaires étrangères égyptien n’était pas informé de notre mission. Mais ils ont vu que nous n’étions pas dupes et à partir du second jour leur réponse a été : « nous n’avons pas de consigne de nos service secrets vous concernant ».
A partir du jeudi 20 nous avons déposé nos bagages carrément devant la porte d’entrée et accentué notre pression. Samedi soir nous avons décidé de dormir sur place dehors, à 20m de la porte. Le chef de poste nous a reçus pour nous dire que c’était inutile puisque dimanche ce serait ouvert pour tout le monde, que cela donnerait une mauvaise image de l’Egypte ( !). Nous avons maintenu notre décision et vers les 19h30 (la nuit tombe à 18h) alors que nous préparions les sardines grillées sur le barbecue prêté par le gérant du petit bistrot du poste frontière, un haut responsable en civil a débarqué avec une douzaine de policiers en civil et en tenue pour nous signifier d’un ton sans réplique que c’était une zone militaire et qu’il était hors de question qu’on reste ici une minute de plus. Malgré quelques réactions hostiles du groupe, au ton et aux propos du policier, j’ai pris la décision d’obtempérer.
En effet, plusieurs informations convergentes confirmaient « l’ouverture de la frontière » dimanche et il aurait été dommage d’hypothéquer un éventuel passage par une arrestation et une nuit au poste…
Le dimanche 22 toutes les télés ont annoncé que la porte de Rafah était ouverte
Depuis le 5 février, seuls les blessés et un tout petit nombre de palestiniens qui étaient sortis pendant les bombardements étaient autorisés à entrer dans la bande de Gaza. Le dimanche 22 effectivement la frontière a heureusement été ouverte à tous les palestiniens qui ont été autorisés à entrer ou sortir. Nous en avons vu entrer plus de 150, ceux qui attendaient depuis avant les bombardements et tous ceux et celles, des familles entières ou partielles qui ont la double nationalité et qui jusque-là étaient interdites d’entrer. Mais les non-palestiniens ont été interdits d’entrer et notre délégation, les canadiens, malaisiens, coréens et anglais avons été interdits d’entrée.
L’ouverture de la frontière a été, en effet, médiatisée comme une « ouverture totale » ; même Al jazeera l’a annoncé de cette manière. Peut-être était-ce, de la part du gouvernement égyptien, une réaction à l’encontre d’Israël. Le président Moubarak avait en effet annoncé un accord imminent et Israël a tout bloqué en faisant entrer dans la négociation la libération du soldat Shalit.
Mais ce traitement ambigu de l’ouverture est significatif car il tend à établir un état de fait selon lequel à cette frontière ne passent que les palestiniens (ou des délégations exceptionnelles comme celle de la Ligue Arabe qui est passée dimanche soir et celle des parlementaires européens qui est passée lundi). Si cette règle se confirmait cela signifierait, pour de simples citoyens internationaux, l’impossibilité de passer par Rafah et du coup Israël garderait le contrôle absolu de l’entrée des internationaux dans la bande de Gaza, ce qui est très lourd de conséquences.
Il ne fait aucun doute que l’Egypte n’a pas envie de voir débarquer sur son territoire des militants du mouvement de solidarité à la Palestine et encore moins que ces gens tissent des liens avec le mouvement égyptien de soutien à la Palestine !
De la même manière l’Egypte redoute sur son propre territoire l’influence des thèses du Hamas.
Ainsi un haut gradé que nous avons interpellé dimanche matin nous a répondu que pour passer à Gaza nous devions avoir une « coordination » avec l’Autorité Palestinienne ( !) alors que c’est le Hamas qui gouverne la bande de Gaza. Autrement dit, « tant que le Hamas gouvernera la bande de Gaza vous ne passerez pas ».
Après les massacres des bombardements il est évident qu’à travers le blocus de Rafah l’ensemble de la population palestinienne de Gaza continue d’être prise en otage, affamée, maltraitée en vue de destituer le Hamas de son pouvoir.
Le 12 février nous savions que la frontière était fermée depuis le 5, mais nous sommes partis quand même
Même si l’Egypte avait annoncé l’ouverture de la frontière nous n’aurions eu aucune garantie. Nous savons par expérience que pour tout ce qui touche à la Palestine la politique israélienne n’obéit qu’à une seule règle : celle de bafouer tous les engagements pris afin d’empêcher toute prévision logique. Et comme la situation internationale est mouvante nous voulions être sur place pour profiter de la moindre opportunité qui pourrait se présenter. (D’ailleurs sans le blocage d’Israël nous aurions pu rentrer le dimanche 22 et les 11 membres de la mission qui étions à Rafah avions décidé de prolonger la mission et passer 5 jours à Gaza en assumant tous les frais d’un nouveau billet d’avion).
Mais la raison principale de notre mission est que nous voulions témoigner par notre présence physique à la frontière, la fermeté de notre solidarité aux palestiniens de la bande de Gaza. Nous sommes restés en contact téléphonique permanent, deux à trois fois par jour avec nos correspondants du PCHR et nos amis de Gaza, nous avons répondu à des interviewes téléphoniques pour une radio et une télévision de Gaza… Par notre présence permanente et déterminée nous avons prouvé aux palestiniens qu’ils n’étaient pas seuls et que la solidarité internationale ne les oubliait pas. Bien que modeste c’est un message fort qui a été envoyé, reçu et apprécié de nos amis palestiniens. C’était le sens de notre mission et sa justification, bien sûr il eut été préférable pour les deux parties qu’on rentre à Gaza, mais d’autres missions CCIPPP le feront bientôt j’espère et notre expérience les y aidera.
Nous voulions également montrer à Israël la détermination de notre solidarité avec le peuple palestinien et lui signifier que nous mettrons en œuvre toutes les possibilités pour briser le blocus. Plusieurs bateaux de solidarité savaient qu’ils allaient être interceptés par Israël et empêchés d’accoster à Gaza ; ils sont partis quand même… Nous devons tout tenter contre le blocus.
Nous voulions aussi faire comprendre au gouvernement égyptien notre opposition au blocus via Rafah. En effet la presse locale d’El Arich (dernière grande ville à proximité de la frontière) s’est fait l’écho de notre mission et de notre présence à la frontière. Notre enquête (cf.article sur l’aide humanitaire bloquée) et nos activités nous ont valu une surveillance rapprochée de la police égyptienne, dans tous nos déplacements et jusque dans notre hôtel. Lors de notre retour au Caire nous avons été escortés jusqu’à quelques kilomètres du Caire, nous avons dû donner le nom de l’hôtel etc. Là aussi le message à l’égard des autorités égyptiennes est passé !
Au fond qu’avons-nous appris de cette action à la frontière et de ce passage par l’Egypte ?
Les excellents témoignages des autres membres de la mission répondent mieux que je ne le ferais à la première partie de la question (Palestiniens bloqués dehors, blocage de l’aide humanitaire, le mouvement de solidarité en Egypte etc.
voir le site : protection-palestine.org.
Quand nous pensons à Gaza nous pensons à juste titre à la population à l’intérieur de la bande de Gaza et là nous nous avons été frappés par l’angoisse et la détresse des « morceaux » de familles qui ne pouvaient pas rentrer. Notamment des femmes seules avec plusieurs enfants qui ne savaient où aller. Le blocus est vraiment une arme violente de destruction du peuple palestinien.
J’ajouterai que nous avons découvert la gravité de la situation de la population égyptienne qui vit tout le long de la frontière et notamment à Rafah. Eux aussi ont été victimes des bombardements israéliens et subissent encore le poids de cette politique meurtrière. Ils se considèrent comme des palestiniens et d’ailleurs sont sous haute surveillance des autorités égyptiennes à Rafah en particulier. Nous avons vérifié l’écart entre la politique du gouvernement égyptien et les positions de la plupart des égyptiens que nous avons rencontrés, y compris au sein de la police de la frontière et de celle chargée de nous surveiller ! Lors de nos interpellations à la frontière, nous indiquions que nous étions une mission médico-psychologique et de solidarité et quand nous disions aux gardes frontières (militaires et civils) : « Vous savez mieux que nous ce qu’ont fait les israéliens là-bas, vous savez bien que les gens de Gaza ont besoin d’aide etc. » alors ils changeaient de ton, baissaient la voix et nous disaient : « vous savez, nous avons des ordres… ».
Enfin et c’est sans doute la nouveauté la plus importante, nous avons rencontré le mouvement égyptien de solidarité avec la lutte du peuple palestinien. Les compte-rendus de nos rencontres vont être prochainement publiés sur notre site qui vous informeront concrètement de cette réalité. Nous avons découvert les conditions difficiles (répression féroce) de leur lutte.
Mais par-delà l’appui logistique sans lequel cette mission n‘aurait pu atteindre son but – et nous les remercions chaleureusement de leur accueil et de leur aide – je voudrais souligner l’importance politique stratégique de ces premiers liens et de leur indispensable développement pour le renforcement de la solidarité internationale avec le peuple palestinien. Ces camarades et amis apportent un éclairage et des analyses indispensables au mouvement de solidarité européen. D’ores et déjà un cadre politique est posé avec des projets de contributions sur les sites respectifs, des échanges d’informations et d’analyses. Gageons que les coordinations qui sont en cours vont établir un flux d’échanges plus important entre le mouvement de solidarité européen et les mouvements des pays arabes de cette région, c’est vital pour les uns comme pour les autres.
La situation actuelle des palestiniens et perspectives
Après les massacres des populations et les désastres médico-psychologiques, après les destructions matérielles et économiques Israël fait du blocus de la Bande de Gaza son arme principale contre TOUT le peuple palestinien.
Par le blocus, il espère faire plier la résistance dans la bande de Gaza et ainsi réussir là où il a échoué par les massacres et crimes de guerre !
Par le blocus, il espère accroître les divisions entre les courants politiques palestiniens en faisant miroiter le retour de la Bande de Gaza sous la direction de l’Autorité Palestinienne.
Par le blocus de la Bande de Gaza déclarée « entité hostile », il offre à l’Union Européenne le prétexte et l’alibi fallacieux pour continuer de refuser à reconnaître le Hamas comme interlocuteur et ainsi bloquer toute progression positive dans l’évolution de la situation.
C’est ce qui devrait faire de la lutte contre le blocus de la Bande de Gaza un des points forts de l’action du mouvement de solidarité au peuple palestinien. Or la question du blocus est directement liée au refus d’Israël, des Etats unis et de l’Union Européenne de reconnaître le Hamas comme interlocuteur.
En 2002 la solidarité s’est centrée contre « l’opération rempart », c’est-à-dire contre l’occupation des villes palestiniennes de Cisjordanie, les massacres (Naplouse, Jénine) et le siège d’Arafat à la Moqata. Depuis 2003 la lutte contre le Mur est devenu le centre de l’activité de solidarité avec le soutien à la résistance des villages de Cisjordanie en lutte contre le mur. Depuis 2006, date de l’élection démocratique du Hamas au gouvernement tout en maintenant une guerre de basse intensité en Cisjordanie (assassinats, arrestations, colonisation accélérée, annexion de Jérusalem) l’offensive israélienne s’est focalisée sur le Hamas et sur la Bande de Gaza où il est très représenté. Le blocus et les attaques meurtrières (230 tués en juillet 2006, 1345 lors de l’attaque de décembre 2008) sont l’arme choisie pour tenter de le détruire.
Aujourd’hui le mouvement international de solidarité au peuple palestinien doit imposer la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, c’est à dire le droit de choisir ses représentants politiques.
La solution au blocus passe par la reconnaissance du Hamas comme une des composantes politiques du peuple palestinien, comme un des interlocuteurs représentatif d’un courant politique nationaliste palestinien.
C’est la raison pour laquelle à Montpellier par exemple la CCIPPP, avec d’autres, insistons sur la nécessité d’un jumelage avec la ville de Gaza par exemple. La reconnaissance du Hamas et la normalisation des relations avec la Bande de Gaza est aujourd’hui la seule voie par laquelle une issue à la guerre est possible. On ne peut pas condamner la violence sans s’attaquer aux causes de la violence, on ne peut pas parler de paix et faire la guerre à une partie du peuple palestinien.