En cette rentrée complexe, Ensemble ! 34 a décidé de publier 3 textes internes afin de pouvoir contribuer au débats et permettre des clés de compréhensions collectives et individuelles.
Le 1er a été rédigé par notre camarade Francis Sitel (Ensemble ! 75) le 24/08/2023 et est toujours d’actualité :
Sur les enjeux politique actuels
En cette rentrée 2023, un paradoxe : alors que la société vient de connaître une mobilisation sociale puissante, on ne voit guère d’effets positifs de celle-ci sur le champ politique. La NUPES se divise, la perspective de la présidentielle de 2027 avive les concurrences au sein de la gauche, et l’hypothèse d’une victoire de l’extrême droite s’installe.
Dans ces conditions, notre volonté de travailler à une recomposition politique et au dépassement de notre mouvement peine à se concrétiser.
A la veille des échéances à venir il semble nécessaire de débattre pour faire le point sur où nous en sommes et préciser les orientations à défendre.
Cette contribution est une participation à ce débat nécessaire.
1- La vraie question posée à gauche n’est pas celle d’être de manière binaire « pour » ou « contre » la NUPES , mais de savoir ce qu’il en serait pour la gauche dans sa totalité si la NUPES chavirait. Dès lors qu’il s’agit là d’une menace réelle, on doit dire que les conséquences en seraient dramatiques pour les rapports de forces globaux et le devenir de la société. Et donc s’interroger sur les enjeux politiques présents et la manière d’y répondre.
Ce qui n’est en rien ignorer, bien au contraire, que la NUPES n’est qu’une réponse partielle et fort insatisfaisante à la situation.
L’accord électoral pour les législatives de 2022 a résulté de la décision de Mélenchon de le proposer aux autres partis. Lui étant en position de force après la présidentielle et eux en situation de faiblesse, la formule s’est imposée. Elle a permis d’écarter une défaite générale et a assuré une représentation parlementaire significative de la gauche. Cela dans une Assemblée configurée par une tripartition, où le président, situation inédite sous la Ve République, se voit contraint de gouverner sans majorité absolue.
Les récentes mobilisations sociales ont mis en lumière et aggravé la fragilité de ces équilibres politiques. Du fait de l’affaiblissement et de la division des composantes de droite (aussi bien macronistes que LR) se trouve posée la question de quelle relève politique est susceptible de s’imposer à l’occasion des prochains rendez-vous sociaux et électoraux.
Question décisive ! Elle interpelle différemment les deux oppositions qui se revendiquent de la « rupture ». Pour sa part, le RN peut parier sur la capitalisation à son profit des mécontentements et ressentiments populaires, et se contenter de travailler à sa « notabilisation » . La gauche est dans une toute autre situation, invitée à relever deux défis difficiles : d’une part, construire une unité respectueuse de sa diversité, se lier correctement aux luttes et aux organisations syndicales et associatives dans un esprit de respect des prérogatives et d’échanges sur les projets, d’autre part convaincre de sa capacité à gouverner pour appliquer une réelle politique de transformation sociale, écologique et démocratique. (1)
2- C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser les problèmes auxquels sont confrontées les
composantes de gauche et écologistes.
L’existence de la NUPES a établi la possibilité de l’unité à gauche, incluant potentiellement toutes ses composantes, et cela sur des bases politiques de rupture avec le néolibéralisme.
Cette donnée éminemment positive ne doit pas masquer que les dynamiques de fragmentation sont toujours agissantes, que ce soit au sein de la NUPES ou à sa périphérie, y compris à l’extrême gauche.
À titre de symptômes on peut noter des données paradoxales :
- à l’heure où LFI est en position de domination politique à gauche c’est en son cercle
dirigeant que les tensions s’avivent; - alors que le NPA a su prendre en compte le problème posé par la NUPES, il s’en est suivi une scission conduisant à l’existence de « 2 NPA » (auxquels on peut ajouter Révolution permanente);
- la création de la GES en vue d’une intégration plus complète à la LFI s’est traduite par une rupture du courant Ensemble insoumis d’avec Ensemble.
En fait les logiques identitaires et les prétentions hégémonistes sont, à des degrés divers, largement présentes.
LFI se présente comme l’aile marchante de la NUPES et affiche un attachement fort à son unité, mais cela tant que son ambition hégémoniste n’est pas remise en cause, ni les projets présidentiels de son leader. Attitude qui alimente les crispations chez les partenaires.
En particulier de la part du PCF qui confirme un repli identitaire, catastrophique pour l’avenir de son réseau militant, de son histoire (y compris des innovations manquées) et de sa place dans le champ des luttes. Dans un autre registre EELV confirme son choix d’intégration à la NUPES et donc son ancrage à gauche, mais maintient que le paradigme écologique quasi-exclusif reste sa boussole, ce qui fait que les accords avec les autres forces sont sujets à des choix conjoncturels et liés à ses propres intérêts électoraux. Quant au PS, il est profondément divisé entre l’orientation pro NUPES portée par la direction Faure et la contestation de celle-ci par une partie de l’appareil et des grands élus qui refusent l’alliance avec LFI. Un échec de la NUPES redonnerait de l’espace à un social-libéralisme aujourd’hui marginalisé.
D’où ce constat aux conséquences importantes : les mouvements d’unité, s’ils sont importants n’engagent pourtant pas de réelles possibilités de recompositions politiques. On voit au contraire que les débats entre composantes de la gauche se transforment systématiquement en polémiques ravageuses. Comme si n’était pas acceptée l’évidence que la gauche étant diverse, elle est inévitablement traversée de divisions. La préoccupation doit être d’éclairer celles-ci, car même profondes elles sont surmontables dans une situation de mobilisation face au danger. Reste à débattre de manière transparente des compromis rendant possibles l’unité d’action et les accords électoraux. Or, aujourd’hui comme hier, on voit l’inverse : soit au nom de l’unité, éventuellement érigée comme une fin en soi, ces différences sont relativisées ou occultées, soit les désaccords sont décrétés rédhibitoires au regard de la possibilité de l’unité (voire dénoncés comme dissimulant de stricts intérêts personnels ou d’appareil).
3- Quelles explications aux difficultés et dangers de la situation ?
Certaines renvoient à des données de fond de la période, lesquelles demandent une analyse difficile qui ne sera pas abordée ici pour se limiter aux questions liées au contexte présent et à la NUPES.
L’expérience de la NUPES ne s’affirme pas porteuse d’un projet mobilisateur faute d’avoir été en mesure de dépasser son cadre initial, celui d’un cartel électoral de sommet, qui de surcroît apparaît miné par les concurrences entre ses composantes. Il n’est pas inutile de rappeler que le projet (né en 2020) d’un rassemblement politico-citoyen (le mouvement 2022 en commun) a certes échoué (avec le processus très discutable de la Primaire), mais il visait à construire un cadre commun consolidé avant la séquence électorale elle-même, afin de réduire les concurrences d’appareils.
La NUPES est nettement plus large que l’ex-Front de gauche, du fait de la participation du PS et d’EELV, mais elle est aussi moins inclusive à l’égard des force candidates à y participer, et surtout encore moins que lui traversée de débats politiques de fond. D’où les mêmes risques de dislocation, en particulier du fait des enjeux liés à la présidentielle, ces derniers structurant en profondeur l’imaginaire et les préoccupations des partis politiques inscrits dans la NUPES.
La prégnance des enjeux électoralistes obère la compréhension qu’un programme électoral ne saurait tenir lieu de projet politique, lequel demande à être élaboré sérieusement et à être réellement partagé pour porter une charge socialement mobilisatrice.
L’élaboration d’un tel projet nécessite des espaces de débats publics (assemblées, agora…) à la base et au plan national. C’est en appeler, dans une logique d’autogestion, à une extension des institutions sociales (sécurité sociale démocratique, coopératives, etc). L’objectif étant de proposer des analyses construites des grands défis de l’heure, dont la liste est longue : la guerre en Ukraine, la crise climatique, le défi migratoire, la régénération de la démocratie, l’alternative au néolibéralisme etc… Cela en vue de favoriser les mobilisations répondant à ces perspectives.
Le travail pour un tel projet, loin d’être la tâche des seules forces politiques doit être envisagé comme un des moyens de surmonter la déconnexion relative entre le champ politique institutionnel (avec ses partis et mouvements) et les forces sociales à l’œuvre dans la société (agissant via les syndicats, associations, groupements citoyens…) Lors du mouvement des retraites, qui s’est déployé sur le terrain social et dans le champ parlementaire, une grande faiblesse fut l’absence d’articulation entre ces deux dimensions. Elle aurait supposé de la part des partis politiques la pleine acceptation du fait que la direction de la mobilisation était
légitimement celle du front syndical, à charge pour eux de définir en harmonie avec le Front syndical la stratégie parlementaire pertinente.
4- L’écart entre ce qu’il conviendrait de faire pour répondre aux exigences de la situation et les
moyens disponibles invite à préciser nos orientations.
Comme d’autres organisations ENSEMBLE! s’est positionné positivement par rapport à la NUPES et a demandé à s’y intégrer. Cette orientation doit être maintenue quelles que soient les limites de la NUPES et y compris sa difficulté de répondre à une telle demande. L’objectif reste de peser dans le sens d’une dynamique en faveur d’une force ou d’un rassemblement de la gauche et de l’écologie politique, unitaire, pluraliste, et agissant sur tous les terrains de la résistance au néolibéralisme dominant et ce pas seulement à l’occasion des élections.
Dans cette perspective large et de manière intrinsèquement liée, ENSEMBLE! doit confirmer sa disponibilité à des recompositions ou des alliances permettant de modifier positivement les rapports de forces et envisager son propre dépassement.
Pour ce faire il convient de refuser les orientations prônant une mise en extériorité par rapport à la NUPES, que ce soit en posture d’hostilité à celle-ci (à l’image des courants de droite du PS, selon une logique qui ne peut conduire qu’à une forme renouvelée de social-libéralisme), ou en position d’indifférence à l’égard du devenir de la NUPES (au nom d’une « radicalité » revendiquée comme seule réponse aux défis de la situation).
Il est néanmoins vrai que la NUPES ne se montre pas en capacité (si tant est qu’elle en ait même la volonté) d’assumer la prise en charge de cette entreprise de réarmement politique, qui nécessite l’élaboration d’un projet politique et le rassemblement des forces pour le porter.
À cette contradiction on ne saurait répondre par des partages à priori, en fonction de critères plus ou moins arbitraires (du type révolutionnaires/réformistes ; radicaux/opportunistes…). Ce qui ne peut conduire qu’à entretenir illusions et faux semblants, et à désarmer face aux risques de la situation.
La démarche doit être différente : en fonction des questions jugés prioritaires, débattre, rassembler et agir avec toutes celles et tous ceux (partis, associations, personnalités…) qui sont déterminés à se mobiliser pour affronter ces enjeux, autour d’objectifs précis : sociaux, féministes, démocratiques, écologiques, égalité des droits, accueil des migrants, solidarité internationaliste, etc. C’est ce que nous appelons aussi des campagnes d’action.
5- Un impératif : barrer la route du pouvoir à l’extrême droite.
Une donnée paradoxale doit alarmer. Si l’on admet que la question politique centrale est le risque d’une accession au pouvoir de l’extrême droite, l’urgence est de rassembler les forces qui veulent le combattre. Et de peser pour que la NUPES, dont on voit que son éventuelle évolution négative ne ferait que précipiter ce risque, prenne toute sa place dans ce mouvement.
On voit que dans l’opinion et dans les commentaires politiques s’installe de plus en plus nettement l’idée qu’en 2027 Le Pen sera en capacité de gagner l’élection présidentielle. Or, ce pronostic, plutôt que de susciter la mobilisation génère du fatalisme. Ou pire, une relativisation en raison d’une erreur d’analyse, sur le thème que la fascisation est déjà là et qu’avec Le Pen ce ne serait pas différent de sous Macron…
Il convient d’enrayer une telle spirale de l’acceptation du pire.
La situation est marquée par de multiples contradictions. La puissance croissante du RN s’inscrit dans un mouvement d’extrémisation droitiste du champ politique qu’on constate à l’échelle européenne et au-delà. Celui-ci renvoie à des phénomènes complexes et très divers qui témoignent d’une crise historique de la démocratie. On ne saurait pourtant les interpréter comme la traduction mécanique d’une évolution des sociétés. S’ils s’alimentent de profondes craintes sociales et d’inquiétants replis identitaires, s’y opposent des aspirations non moins puissantes qui appellent une perspective politique sociale, écologique et démocratique. À la question du racisme anti-immigrés, toujours présente, se mêle une perte de confiance face aux dangers de la mondialisation, à propos de l’espace territorial (national ou multinational) qui verrait disparaître la souveraineté populaire. L’aspiration à la souveraineté démocratique se mue alors en crispation nationaliste.
Dans le cas de la France, il est vrai que la crise démocratique et l’état des forces de droite et de gauche rendent effectivement envisageable une victoire du RN en 2027. Au regard de la réalité de la société, on peut dire qu’il s’agirait d’un « accident historique ». Catastrophique !
Ce pourquoi il est impératif de contrecarrer les tentations de relativiser un tel scénario.
Il est déraisonnable d’expliquer que la politique de Macron c’est déjà du lepénisme, ou que le gouvernement de Meloni en Italie montre que l’accession des fascistes au pouvoir ne confirme pas les craintes entretenues précédemment. De tels discours, au lieu d’alerter quant aux dangers de la situation, visent à rassurer en prétendant qu’ils ne sont pas si graves, donc ils anesthésient l’opinion et pervertissent la conscience politique. C’est s’aveugler quant à l’axe central de ces forces qui est un projet de société exclusive, se réclamant de prétendues racines nationales et culturelles « authentiques », rejetant migrants et tous ces éléments décrétés lui étant étrangers, donc indésirables. Un accès au pouvoir de ces forces leur donnerait les
moyens étatiques pour la mise en œuvre de ce projet. Dans le cas français ce sont ceux d’un État fort et d’institutions empreintes d’autoritarisme. Si un tel évènement devait se produire il entraînerait le ralliement d’une droite conservatrice en crise, et pour les gauches une menace de déliquescence.
La lucidité quant au danger permet d’éclairer les responsabilités des partis politiques dans la possibilité que celui-ci se concrétise. Et en conséquence ce sur quoi leurs politiques doivent être dénoncées. Celle de Macron qui s’acharne à réduire le champ des choix électoraux à l’alternative toxique entre lui et Le Pen, entre sa droite et le RN. Celle de la droite LR qui voit sa survie dans l’intégration de la dénonciation de « l’immigration », laquelle est le patrimoine de toujours de l’extrême droite.
C’est aussi pour la gauche l’invitation à une approche critique quant à ses propres responsabilités. Concernant les décennies passées, les politiques gouvernementales menées ont conduit à épouser un discours opportuniste de repli sur les frontières, de tri des « bons » et « mauvais » immigrés, à laisser à l’abandon les couches populaires face aux agressions du libéralisme (y compris « de gauche »), ou des régions entières appauvries par la désindustrialisation et l’appauvrissement des services publics.
Aujourd’hui, est posée à la gauche radicale et à l’ensemble de la gauche l’exigence d’une analyse pertinente de la nature exacte de ladite « extrême droite » (populiste, post fasciste, néofasciste etc…) et des réponses que nécessite le danger qu’elle représente. La thèse d’une « fascisation » de la société doit être contestée, elle tend à présenter comme sur le point de basculer dans une forme de fascisme plus ou moins assumée non seulement le camp macroniste, mais aussi une bonne partie de la gauche. En outre cette vision peut s’accompagner de la revendication d’un « radicalisme » présenté comme la nécessaire réponse à cette situation, avec des relents « troisième période » (2) qui vont à l’inverse de la politique impérativement nécessaire.
Une combinaison est à travailler.
A la fois en appeler, contre toute relativisation du danger que représente l’extrême droite, à une alliance mobilisatrice de toutes les forces qui sont conscientes du défi et déterminées à se rassembler et agir pour le relever. Il s’agit des forces organisées aux plans politique, syndical, associatif, et aussi des personnalités de divers domaines, pour créer le point d’appui qui est celui de la résistance sociale à la perspective d’un basculement politique porteur d’une régression insupportable.
Et militer pour que le rassemblement à gauche, dont la NUPES a ouvert la possibilité, se concrétise sous des formes qui ne restent pas bridées par les concurrences d’appareils et les seuls déterminants électoralistes.
Francis Sitel
Notes :
(1) : Ce en quoi la notion de « populisme de gauche » est pernicieuse car laissant croire que pour arriver au pouvoir des recettes similaires peuvent être mises en œuvre par l’extrême droite et la gauche.
(2) : Référence à la politique de la IIIe Internationale stalinisée et du Parti communiste allemand qui, dans les années 1930, au nom de la révolution imminente désignait la social-démocratie comme l’ennemi prioritaire, au prix d’une division criminelle du mouvement ouvrier face à la montée du nazisme.