En cette rentrée complexe, Ensemble ! 34 a décidé de publier 3 textes internes afin de pouvoir contribuer au débats et permettre des clés de compréhensions collectives et individuelles.
Ce 2ème a été rédigé par notre camarade Patrick Vassallo (Ensemble ! 34) cet été et est toujours d’actualité :
Réinventer la politique : une visée de rupture radicale avec le capitalisme, un chemin du plus large rassemblement ;
Après le mouvement contre la contre-réformes des retraites, une situation marquée par un retour du syndicalisme dans une unité inédite depuis longtemps, les universités d’été de diverses forces des gauches, les débats internes à la NUPES, la montée de l’extrême-droite partout dans le monde réactivent la réflexion politique sur notre « organisation » militante, son dépassement et les moyens de retrouver dynamisme et efficacité. Plusieurs textes sont en discussion dans Ensemble !, (« Des buts, un chemin qui rassemble », « Une force de gauche alternative unitaire au service des soulèvements populaires et citoyens ! », « Sur les enjeux politique actuels » de F.Sitel). Cette expression personnelle ne vient en aucun cas en opposition à ceux-ci, plutôt en complément. Je suis signataire du 2e , j’ai de larges convergences avec le 3e , que je ne reprends pas ici. Quelques points me paraissent devoir être précisés dans ce débat.
Nous avons un vrai souci avec la façon dont la politique est conçue. Y compris dans Ensemble ! Soit comme c’est dit couramment, la Politique c’est une question de pouvoir, de stratégie, de prendre position, de construire des rapports de forces, des pré-carrés et se justifient alors que « la fin justifie les moyens » et que dans notre camp social, les pratiques d’entrisme, prise de contrôle, etc. aient droit de cité. Ou pour le moins soient tolérées. Et la politique est réduite aux enjeux électoraux et corsetée par leurs échéances. Ou bien il s’agit de construire une autogestion du « vivre ensemble », de la cité commune, du « faire société » et il n’appartient plus alors aux organisations de gouverner, mais aux populations de s’y organiser.
La question d’une « nouvelle formation politique », dans la suite de bien des débats antérieurs, reste donc posée, dans ses fonctions, configurations et fonctionnement. Dans son sens, en bref. Si nous voulons que la systémique d’organisation n’anéantisse pas nos orientations autogestionnaires, ne devons-nous pas aller au fond de ce débat ? Les épisodes récents d’E ! -tout comme la situation de la NUPES et autour- devraient, je crois, nous y inciter.
La question du travail est essentielle. Chacun.e en convient. Mais il me semble que nous devons l’alpaguer totalement, pas seulement -et c’est absolument nécessaire- du point de vue revendicatif et matériel, mais aussi sur la question du sens, des cadres d’emploi, des structures d’activité, y compris de l’économie dite informelle. Ne pas ébaucher de réponses politiques visant à la dé-subordination (donc une fin du salariat ?), renverrait toute cette partie des jeunes et des quinquagénaires qui « se barrent », bifurquent, changent de vie vers des solutions individuelles, au mieux « communautaires ».
Un de aspects nouveaux et notoires à travers la planète est le clivage des positions et du débat public. Autant de jeunes considèrent que le climat c’est LA question, autant rejettent violemment ce point de vue au nom de la survie économique. Autant #MeToo a lancé une révolution féministe mondiale, autant des conceptions rétrogrades sur le travail des femmes, le droit à leur corps, l’IVG, etc. sont défendues avec une agressivité renouvelée. On peut citer bien d’autres exemples.
La démocratie est ainsi l’objet de multiples clivages. Elle a perdu tout attrait dans des pays où elle a servi de cache-sexe au colonialisme et au post-colonialisme. Elle est affaiblie par l’émergence du complotisme et la résurgence des obscurantismes religieux. Sa remise en question violente, aux Usa par exemple, qu’alimente un autoritarisme renforcé, laisse le champ libre à la fachosphère et autres réseaux d’extrême-droite ou mafieux. L’aggravation des inégalités dans le monde, la question de l’eau, la pauvreté de tout une partie de la population mondiale sur fond de racisme, d’apartheid et de nettoyages plus ou moins « ethniques » constituent autant de foyers de délitement de la chose publique, du sens commun et de la démocratie. La loi du plus fort reprend vigueur contre l’état de droit malgré (ou à cause de) toutes ses limites.
Si le RN (mais cela vaut ailleurs pour l’extrême-droite) capitalise et se notabilise sur les mouvements sociaux, c’est qu’il arrive à cristalliser les colères, que la gauche se contente d’aviver. Politiser ce n’est pas attiser les tensions, effectivement, ni les polémiques. Nous avons besoin d’alternatives, d’utopies concrètes, de faire grandir du déjà là plutôt que de se lamenter sur la faiblesse des ripostes. De porter attention au nouveau plutôt que de cultiver les nostalgies, qui nous font éviter de valoriser les conquis et les pensées politiques que nous avons su porter depuis un demi siècle. Ce manque de bilans, dynamiques et lucides, est dramatique. Il laisse le champ libre aux menées des appareils partisans aguerris à une lecture de l’histoire qui méprise plus ou moins gentiment le peuple et dévalorise tout mouvement au profit de « l’orga ».
La difficulté à produire de la perspective politique ne vient-elle pas de ce que trop d’organisations sont obnubilées par leur souci d’avoir raison, la défense identitaire de leur survie et l’auto justification ?
N’est-ce pas cette posture qui nous empêche de cheminer sans mépris vis-à-vis de la NUPES, tout en intégrant son existence, et ses atouts, sans en être prisonniers ?
Entre les politiques menées par la « gauche » au pouvoir (national ou local) et le carcan imposé par l’extrême-droite au débat public, nous nous sommes mis dans la nasse et empêtrés dans des demi-mesures qui sont autant de renoncements que paient les populations, et les plus exclu.e.s et discriminé.e.s le plus durement.
Comment dépasser tout ceci si nous n’élaborons pas une visée de transformation radicale qui s’en prenne aux racines du capitalisme mondialisé et en renverse la table ? Ne pas le faire nous renverrait mécaniquement, volontairement ou pas, dans un pragmatisme « de rassemblement », où nous deviendrions les supplétifs d’une social-démocratie tentant de se toiletter. Rien de neuf sous l’orage… Les limites de la NUPES, le piège tendu par les conservateurs de tous poils par un anti-mélenchonisme primaire ne peuvent nous détourner de ce but. Nous en avons les moyens ; allons à l’essentiel !
Voici qui contribuerait à un chemin unitaire, rassembleur, au service des soulèvements populaires et citoyens et producteur d’alternatives.
Patrick Vassallo
Juillet Août 2023